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permettrait la circulation qu’en bouteilles fiscales, qu’il céderait vides au prix de 4 francs, laissant toute liberté d’ailleurs au producteur de les vendre le prix qu’il voudrait. Pour l’exportation, l’État donnerait la bouteille au prix coûtant, c’est-à-dire quelques centimes. On pourrait également exporter les liqueurs en fûts plombés ; mais dans ce cas l’expéditeur français ne pourrait pas, comme avec la bouteille, mettre sous les yeux du consommateur étranger, le certificat de pureté délivré par le gouvernement français. Les fabricans qui tiennent à conserver une certaine forme de bouteilles n’auraient qu’à y adapter le col métallique fourni par le gouvernement.

Les cabaretiers trouveront divers avantages au monopole. Si celui-ci limite leur bénéfice sur les eaux-de-vie ordinaires, il leur donne des compensations ; il leur laisse la liberté des prix pour les liqueurs fines et supprime tous impôts grevant le vin, la bière ou le cidre. Enfin il leur fournit un crédit complet et les délivre de la tyrannie des marchands en gros qui leur font payer ce crédit très cher. Le nouveau régime assure un bénéfice de 300 millions aux débitans sur les eaux-de-vie ordinaires, ce qui fait environ 750 francs pour chacun des 400 000 débits qui existent aujourd’hui. Pour Paris, on porterait le prix du petit verre de 10 à 15 centimes, ce qui fournirait environ 75 millions, permettrait de supprimer l’octroi et d’accorder, sur le sou additionnel, 40 pour 100 de remise aux débitans, soit 2 centimes de plus par petit verre : les deux centimes ajoutés aux deux centimes normaux feraient environ 60 millions pour les débitans de Paris. Ceux-ci d’ailleurs doivent, en envisageant le monopole, considérer comment ils sont traités par des autres projets. Celui de la réforme des boissons, voté par le Sénat, double les licences, c’est-à-dire un droit fixe qui pèse beaucoup plus lourdement sur les petits débitans que sur les gros.

Si les socialistes votent le monopole, c’est simplement parce qu’ils y voient un moyen de défendre la santé publique. Beaucoup d’entre eux d’ailleurs ne le trouvent pas suffisant et proposent un monopole de fabrication qui mettrait l’industrie dans les mains de l’État.


Tel est le résumé aussi fidèle que possible de tous les argumens entassés par les partisans du monopole de rectification et de vente des eaux-de-vie par l’Etat. Nous les avons reproduits sans discuter aucun raisonnement ni aucun chiffre, afin d’exposer dans son ensemble un système aussi spécieux en apparence qu’il serait impraticable en réalité. Le caractère de ce plan est avant tout un dédain superbe de l’expérience acquise : il fait table rase d’une organisation fiscale consacrée par une expérience séculaire et à laquelle le public est habitué, prétend lui substituer une série d’innovations hasardeuses, téméraires, dont l’effet le plus sûr serait le bouleversement d’une partie de l’industrie et de l’administration : la seule évaluation du coût d’établissement des usines de rectification est d’une insuffisance manifeste.