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sont ceux qui nous donnent le plus à faire par nous-mêmes, quelle étude plus profitable peut-on concevoir pour l’enfant?

Rien que pour reconnaître le mot, que d’attention ne faut-il pas? car il s’agit de le dégager de ce qui précède et de ce qui suit; il s’agit de distinguer l’élément permanent des élémens variables, et de comprendre que l’élément permanent nous est, en quelque sorte, confié pour le manier à notre tour et pour le soumettre aux mêmes variations : en quelles occasions, en quelles rencontres, selon quels modèles? La plupart du temps, personne ne nous en avertit : à nous de le découvrir. La phrase la plus simple est une invitation à décomposer la pensée et à voir ce que chaque mot y apporte. L’adjectif, le verbe, sont les premières abstractions comprises par l’enfant. Ces pronoms moi et toi, mon et ton, qui, en changeant de bouche, se transforment de l’un à l’autre, contiennent sa première leçon de psychologie...

A mesure qu’on avance dans cet apprentissage, l’enseignement monte d’un degré.

Représentons-nous l’effort que devaient exiger les langues anciennes, même pour les parler médiocrement. Il fallait, pour les diverses déclinaisons, établir des séries où certaines flexions se correspondaient, sans se ressembler, et où d’autres, qui se ressemblaient, devaient être tenues séparées. Un classement analogue était nécessaire pour les personnes, les modes[1]. Il y a là tout un chapitre de vie intérieure qui recommençait avec chaque individu. Le peuple portait donc en lui une grammaire non écrite, dans laquelle il se glissait sans doute des erreurs et des fautes, mais qui, tout compensé, n’en avait pas moins une certaine fixité, puisque ces langues se sont transmises de génération en génération pendant des siècles.

Quand nous considérons la peine que coûtent aujourd’hui ces mêmes langues anciennes, nous sommes quelque peu surpris. Mais il faut songer que l’éducation de la langue maternelle a l’avantage de se faire à toutes les heures du jour et en tous lieux, qu’elle a le stimulant de la nécessité, qu’elle s’adresse à des intelligences fraîches et qu’enfin elle présente ce caractère unique d’associer les mots aux choses, et non les mots d’une langue aux mots d’une autre langue. Les mêmes circonstances se retrouvent pour toutes les langues maternelles; partout l’esprit de l’enfant

  1. H. Paul, Principien der Sprachgeschichte, 2e édition, p. 24. V. aussi les Recherches de Steinthal et de Lazarus, dans leur Journal.