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pour parler au peuple, la langue de la Révolution. Il savait qu’elle le ferait tressaillir, et ne se trompa pas. C’est l’ancien ami de Barras, reparu tout à coup dans le gendre de l’empereur d’Autriche, que la nation porta en triomphe aux Tuileries.

Les deux Frances, réunies de force sous le joug impérial, retrouvèrent, avec la Restauration, la liberté de se combattre. Ce n’est pas que la Restauration fût, comme on l’a dit, la revanche de l’ancien régime, puisque la Charte consacrait toutes « les grandes conquêtes de 1789 » : le régime constitutionnel, l’égalité civile, l’admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics, la liberté de la presse, la liberté des cultes. Mais elle fut la lutte acharnée entre les institutions, devenues libérales, et les traditions monarchiques, restées absolues, entre le nouvel esprit démocratique et les vieilles mœurs aristocratiques. Cet antagonisme, exaspéré par l’apparente solidarité du trône et de l’autel, aboutit à la résistance du pouvoir royal et à la victoire de l’émeute, aux ordonnances et aux journées de Juillet.

Depuis trente ans, le volcan révolutionnaire semblait éteint ; on avait bâti de toutes parts sur sa lave refroidie, et voilà qu’une explosion soudaine en révélait la persistante activité. Le trône légitime brisé ; un trône nouveau improvisé au milieu des barricades ; un descendant de Henri IV acclamé, quoique Bourbon ; l’Hôtel de Ville au lieu de Reims ; Lafayette, faisant l’office de saint Rémi ; des députés et des pairs contresignant les volontés de l’insurrection triomphante : que d’événemens extraordinaires en trois jours ! Qui a détruit une fois de plus la vieille monarchie des Bourbons ? Qui a créé cette monarchie nouvelle ? Le peuple, le peuple de la Révolution affirmant sa souveraineté comme au 10 août, les armes à la main, et jouant avec le sceptre et la couronne comme avec des hochets ; le peuple, devenu le Louis XIV des temps nouveaux et répétant après lui : « L’Etat, c’est moi. »

Victorieux, il consentit à ne pas pousser sa victoire à fond, et se contenta de demander place dans cette monarchie, qu’on lui disait être « la meilleure des Républiques ». Mais les classes, moyennes lui répondirent en l’excluant du pays légal. L’aristocratie du juste milieu battit des mains en entendant Royer-Collard proclamer que « dans le gouvernement, la démocratie est incapable de prudence, qu’elle est, de sa nature, violente, guerrière, banqueroutière. » Cet anathème fut pendant dix-huit ans le mot d’ordre du régime nouveau. Il vint un jour où les mêmes