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peinture dont la vérité a pour corollaire un certain degré de vraisemblance dans les événemens.

Là encore, cependant, il convient de distinguer. Sur la vraisemblance des faits, il est permis d’être accommodant, le hasard jouant, après tout, un assez grand rôle dans les choses humaines. (Il n’y a guère que Racine qui ait su presque se passer du hasard.) Mais la vérité morale, c’est autre chose : nous devons y tenir dans la comédie et le drame sérieux, ou, pour m’exprimer plus modestement, je sens que j’y tiens beaucoup, et ce n’est pas ma faute. Je l’entends d’ailleurs le plus largement que je puis, et je ne règle point l’âme humaine au compas : mais enfin il est telles violations de cette vérité qui sautent à tous les yeux.

Passe encore quand ces violations sont antérieures à l’action de la pièce et que notre attention n’est pas dirigée sur elles. M. Sarcey dit fort bien, à propos de l’Œdipe roi (qui est tout de même mieux qu’un mélodrame, quoiqu’il n’en soit pas le contraire) : «… Mais comment expliquez-vous qu’Œdipe et Jocaste, qui sont mariés depuis douze ans et plus, n’aient pas échangé vingt fois ces confidences ? — Moi, mon ami, je ne l’explique pas, et cela m’est parfaitement égal, parce qu’au théâtre, je ne songe pas à l’objection. Tout ce que je puis te dire, ô critique pointu, c’est que, s’ils s’étaient expliqués auparavant, ce serait dommage parce qu’il n’y aurait pas de pièce et que la pièce est admirable. Cela s’appelle une convention. Cette convention, c’est qu’un fait auquel le public ne fait pas attention n’existe pas pour lui ; que tous les faits qu’il a bien voulu admettre comme réels le sont par cela seul qu’il les a admis, fût-ce sans y prendre garde. »

Je crains que ces remarques si lucides ne s’accordent avec une conception un peu humble du théâtre ; et cela me fâche qu’on puisse dire que, même dans des pièces qui passent pour chefs-d’œuvre, certains effets dramatiques ont pour condition première l’inattention du public, sa facilité à être dupé, et presque sa sottise. Je souscris toutefois aux réflexions de M. Sarcey. Dans l’exemple qu’il a choisi, le silence si surprenant d’Œdipe et de Jocaste est un fait passé ; et d’ailleurs, que l’un et l’autre se soient abstenus de confidences qui leur eussent été pénibles à tous deux, il n’y a point là d’impossibilité absolue. Mais, au quatrième acte de Frédégonde, ce sur quoi on nous prie d’être coulans, ce n’est pas une simple invraisemblance morale, chose sujette à discussion, c’est, comme je crois vous l’avoir fait sentir, une belle et bonne absurdité ; et c’est une absurdité, non point passée, mais présente, qui s’étale sous nos yeux, et nous provoque et nous défie. Il n’y