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anciens domaines. C’était la première fois que l’hellénisme reculait, en Sicile, devant ceux que les Grecs appelaient encore des barbares.

L’effet moral de la réparation ainsi obtenue dut être considérable ; il encouragea Doukétios à oser davantage. Les détails nous manquent : mais on ne saurait douter que ce chef habile et persévérant n’ait employé les années qui suivirent à préparer, par une active propagande, l’exécution de ses plans. Dès 459, il agissait ; il fondait la ville de Menai, qui a vécu jusqu’à nos jours sous le nom de Mineo, et il s’emparait de Morgantion. Ses efforts aboutirent ; en 453, il réussit à réunir tous les Sikèles de l’île, à ceux d’un canton près, en une ligue dont il fut proclamé le chef suprême, dans la guerre comme dans la paix. La confédération aurait sa capitale dans une ville nouvelle, Paliké. Celle-ci fut bâtie sur le versant oriental des monts Héréens, dans une vallée qui débouche sur la grande plaine qui formait alors le territoire de Leontini. Non loin du village actuel de Favarotta, il y a une dépression qui n’est pas autre chose que le bassin d’un cratère effondré ; des eaux la remplissent d’où s’exhalent des vapeurs sulfureuses qui se répandent à distance ; elles proviennent des gaz que dégagent les bulles qui viennent crever à la surface ; on dirait un chaudron, plein d’un liquide en ébullition. On voyait et l’on révérait, dans ces phénomènes, l’activité puissante des dieux du monde souterrain, que l’on adorait là sous le nom de Paliques[1]. Ce culte a certainement été fondé par les Sikèles ; les phénomènes qui en provoquèrent la naissance sont de ceux qui, par leur étrangeté, frappent le plus l’imagination des peuples enfans. En adoptant ce site pour y placer le centre politique du futur État sikèle, Doukétios mettait son entreprise sous la protection des divinités nationales. A d’autres égards, le choix n’était pas moins heureux. Tout près du lac s’élève une colline escarpée, d’origine volcanique ; elle était toute désignée pour servir d’acropole. Doukétios l’entoura d’une forte muraille, dont il subsiste encore quelques restes.

Le premier acte de Doukétios, une fois son autorité proclamée, ce fut de reprendre aux anciens habitans d’Etna les terres que, neuf ans plus tôt, il leur avait concédées en échange de celles dont il les dépossédait ; il les chassa d’Inessa. C’était un défi jeté

  1. On trouvera tous les textes relatifs aux Paliques réunis dans l’appendice X du t. I de Freeman, p. 517.