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la duchesse du Lude. Le 29 novembre, ils répétèrent leur pas dans le salon du Roi à Versailles, avec les mêmes cérémonies que si le Roi eût été présent. Il y eut une seconde répétition le 2 décembre, devant des fauteuils rangés comme ils devaient l’être le jour du mariage. La veille le Roi avait encore donné à la Princesse pour six cent mille francs de pierreries. Mme de Maintenon lui envoyait également une jolie cassette pleine de bijoux. Au fond de la cassette il y avait une petite boîte, avec le portrait du duc de Bourgogne. Mme de Maintenon aurait manqué à ses devoirs d’éducatrice si elle ne s’était efforcée, à cette occasion, de faire pénétrer quelques idées sérieuses dans cette jeune tête. Le mariage apparaissait probablement à la Princesse comme le premier jour d’une vie de divertissemens. Ce n’était point sous cet aspect que Mme de Maintenon envisageait les choses. Elle avait pauvre opinion du mariage, et s’efforçait de ne laisser sur ce point aucune illusion aux demoiselles de Saint-Cyr. « Quand elles auront passé par le mariage, écrivait-elle, elles verront qu’il n’y a pas de quoi rire. Il faut les accoutumer à en parler très sérieusement et même tristement, car je crois que c’est l’état où l’on éprouve le plus de tribulations, même dans les meilleurs[1]. » Et dans ses instructions à la classe jaune : « Il n’y a point de noviciat qui dispose au mariage. Il seroit difficile de prévoir jusqu’où un mari peut porter le commandement. Il s’en trouve très peu de bons ; sincèrement je n’en ai jamais connu deux, et, quand je dirois un, je n’exagérerois point[2]. » Ce fut sans doute pour prévenir la Princesse contre les illusions qu’elle crut devoir lui adresser une série d’avis que la Princesse avait conservés, et qu’à sa mort, on trouva dans sa cassette. Les avis sont divisés en trois chapitres : « par rapport à Dieu ; par rapport à monsieur votre mari ; par rapport au monde. » Nous ne citerons ici que quelques-uns des avis « par rapport à monsieur votre mari. » Ils sont judicieux, bien qu’un peu tristes :

« Que M. le duc de Bourgogne soit votre meilleur ami et votre confident ; prenez ses conseils, donnez-lui les vôtres ; ne soyez qu’une seule personne, selon les desseins de Dieu.

« N’espérez point que cette union vous fasse jouir d’un bonheur parfait ; les meilleurs mariages sont ceux où l’on souffre tour à tour l’un de l’autre avec douceur et patience.

  1. Lettres sur l’éducation des filles, p. 127.
  2. Conseils aux demoiselles, t. I, p. 32.