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singulière, les leçons qu’avant son départ de Turin elle avait reçues.

Sur les débuts de la princesse de Savoie, on se rappelle ce qu’a écrit Saint-Simon : « Jamais princesse arrivée si jeune ne fut si bien instruite, et ne sut mieux profiter des instructions qu’elle avoit reçues. Son habile père, qui connaissoit à fond notre Cour, la lui avoit peinte, et lui avoit appris la manière unique de s’y rendre heureux. Beaucoup d’esprit naturel et facile l’y seconda, et beaucoup de qualités aimables lui attachèrent les cœurs, tandis que sa situation personnelle avec son époux, avec le Roi, avec Mm de Maintenon, lui attira les hommages de l’ambition. Elle avoit su travailler à s’y mettre dès les premiers momens de son arrivée ; elle ne cessa tant qu’elle vécut de continuer un travail si utile et dont elle recueillit sans cesse tous les fruits[1]. » Cette manière unique d’être « heureuse à la Cour » et ce « travail utile, » auquel elle s’appliqua dès son arrivée, ce n’était pas de conquérir le cœur de son époux. L’époux n’était qu’un enfant et d’ailleurs il était tout conquis. C’était de plaire au Roi et à Mme de Maintenon. Peut-être, pour s’y appliquer, n’avait-elle pas besoin des leçons de son père, et aussi des conseils de sa mère, car il paraît que sa mère lui avait également donné sur ce point par écrit quelques avis qui furent retrouvés dans ses papiers après sa mort. Il lui aurait suffi pour cela de cet instinct obscur qui fait parfois deviner aux enfans ce qu’ils ne sont pas en état de comprendre, et qui les conduit aussi sûrement que les plus savantes manœuvres. Quoi qu’il en soit, et que ce fût leçon ou instinct, il n’y eut pas une faute à reprendre dans la conduite de cette princesse de onze ans qui, du jour au lendemain, passait d’une chambre d’enfant aux marches d’un trône, et qui devait se trouver singulièrement perdue dans cette grande Cour où elle ne rencontrait ni un visage ami, ni un conseil désintéressé.

La conquête de Louis XIV n’était pas, en elle-même, chose difficile. Par une association assez fréquente chez les hommes, il réunissait en lui l’égoïsme et la sensibilité. Il aimait facilement, et il fallait toujours qu’il se sentît aimé. Le temps des La Vallière, des Montespan, des Fontanges une fois passé, il voulut l’être encore. Mme de Maintenon était arrivée à propos, et c’est à elle qu’on doit peut-être qu’il n’ait pas cherché l’amour en bas

  1. Additions au Journal de Dangeau, t. XIV, p. 84.