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cité d’admiration et d’adoration » ? Wagner fut flatté de l’enthousiasme du jeune homme ; il fut aussi frappé de sa science, de son esprit, de sa profonde famiharité avec les poètes grecs. Et il l’accuellit avec une faveur des plus marquées, se disant sans doute qu’on ne pouvait trop souhaiter de voir tous les philologues allemands ressembler à celui-là. « Ne manquez pas de revenir chez nous, lui écrivait-il le 3 juin, faites-vous bien connaître de nous ! Le commerce de mes compatriotes ne m’a jusqu’à présent guère réussi. Venez sauver ma croyance, un peu ébranlée, dans ce que — avec Goethe et quelques autres — j’appelle la liberté allemande ! » — « Montrez au monde, lui écrivait-il quelques mois plus tard, ce que c’est que la vraie philologie, et aidez-moi à réaliser la grande Renaissance ! »

Et, de fait, Nietzsche paraissait disposé à vouloir l’y aider. Il publiait en décembre 1871 un gros livre, la Naissance de la Tragédie, où, sous prétexte d’expliquer la formation du théâtre grec, il glorifiait l’art nouveau de Richard Wagner. Mais il le glorifiait en philologue, et en philosophe, et aussi en poète. Son interprétation de l’œuvre d’art de l’avenir était peut-être, çà et là, un peu fantaisiste : mais jamais encore on n’en avait publié d’aussi savante, ni d’aussi agréable à lire, ni venant d’une source aussi autorisée. C’était un grand et important service qu’il rendait à « la cause », et Wagner ne pouvait manquer d’en sentir le prix. « J’ai dit à ma femme, écrivait-il à Nietzsche, qu’après elle, c’était vous qui veniez en première ligne ; et après vous, mais à une longue distance, c’est Lenbach, qui vient de peindre un portrait de moi, saisissant de justesse... J’ai toujours besoin de votre livre pour me mettre en train, entre le déjeuner et la reprise de mon travail : je lis, et puis je reprends la musique de mon dernier acte. «Une autre fois, il dit à Nietzsche qu’il le place, dans son cœur, entre sa femme et son cliien. Il l’encourage à aller entendre Tristan et Isolde. « Seulement, lui recommande-t-il, ôtez vos lunettes ! » Conseil où il ne faut voir rien de symbohque : car Wagner voulait dire simplement que, pour un bon wagnérien, la musique de son drame devait avoir plus d’intérêt que les décors, et le jeu des acteurs, et l’action elle-même.

Sa reconnaissance, d’ailleurs, ne se bornait pas à ces conseils, et à ces complimens. Il publiait, le 23 juin 1872, dans la Gazette de l’Allemagne du Nord, un grand article sur le livre de Nietzsche où il reprenait pour son compte la thèse exposée par le jeune professeur. L’année suivante, à la fête qu’il donnait pour la pose de la première pierre de son théâtre, il le faisait asseoir en face de lui, à la droite de Mme Wagner. Et sans cesse il lui écrivait, s’inquiétant de sa santé, l’invitant