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au pamphlet. Au surplus, le temps a marché et il s’est fait des progrès de sortes diverses. Le goût s’est épuré ; les gros mots et les gravelures ont en grande partie disparu. On a perdu en même temps cette bonhomie, qui servait, vaille que vaille, d’excuse à Brantôme. Elle a été remplacée par un ton de persiflage, d’ironie perfide et de froid sarcasme. Désormais les noms des héroïnes, ou s’étalent en toutes lettres, ou ne se voilent que de pseudonymes transparens, car cet attrait du scandale contre lequel protestait l’auteur lui-même des Dames est désormais celui que l’on recherche. « C’est une terrible chose qu’un grand seigneur méchant homme », dit ce personnage de Molière. Et cette littérature éclôt justement dans ce petit monde de seigneurs, hommes d’esprit et d’esprit méchant, les Bussy, les Saint-Évremond, les Grammont, libertins d’idées et de mœurs, ceux de la société de Ninon et ceux de la société du Temple, justement suspects au roi, disgraciés et tenus à l’écart, et qui nous mènent de proche en proche aux roués du XVIIIe siècle.

Aujourd’hui il n’y a plus de cour dans notre pays de France, il n’y a guère de grandes dames non plus, et si on se mêle encore de les diffamer c’est une besogne à laquelle les écrivains répugnent assez ordinairement. Mais les « honnestes dames » n’ont pas cessé d’occuper la littérature et d’emplir les livres du récit d’exploits qui ne sont pas sans analogie avec ceux de leurs aïeules. Psychologues, moralistes, peintres des mœurs, les plus distingués entre les littérateurs se sont fait leurs historiographes scrupuleux, tandis que le vaudeville et la chanson de café-concert héritaient des vieilles trivialités. Riches mondaines, créatures aristocratiques, pécheresses d’élite, les plus délicats des romanciers analysent leurs faiblesses avec curiosité, avec attendrissement, mais surtout avec les démonstrations d’un infini respect. C’est le dernier mot de la théorie de l’honnêteté suivant Brantôme. À cette étude raffinée et quasiment pieuse de la dépravation élégante, n’se peut que le bon goût ait gagné, le bon sens y a perdu. Je ne songe guère à réclamer en faveur des antiques genres gaulois. Mais il n’est que de ne pas brouiller les notions. Ni l’agrément du cadre, ni la politesse du style ne changent le fond des choses. Et peut-être la trivialité du milieu, la grossièreté des termes, le ton de mépris et de gouaillerie étaient-ils d’une exacte convenance dans un genre de littérature consacré à nous montrer la bête en train de s’ébattre.


RENE DOUMIC.