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ne saurait les quitter sans avoir d’abord pris congé d’elles en homme bien élevé et sans leur avoir fait son compliment. « Or, mes dames, je fais fin; et m’excusez si j’ay dit quelque chose qui vous offance. Je ne fus jamais nay ny dressé pour vous offancer ny desplaire[1]. » Le gaulois continue de dauber sur les dames, car telle est la pente de son esprit; mais s’il tient registre de leurs faiblesses, ce n’est plus pour s’en gausser lourdement entre hommes, c’est afin de soulever, dans un auditoire féminin le murmure des approbations distinguées.

De là plus d’une conséquence. La première concerne le choix des termes, la délicatesse des images et la politesse des expressions. Il est un langage des bienséances. Si extravagant que cela puisse paraître, c’est justement celui que Brantôme a la prétention de tenir. Ce drôle parle de pudeur. Il y a manière de dire certaines choses ; et il y a des choses qu’on ne peut dire d’aucune manière devant des femmes. Brantôme le sait. Il fait profession de s’arrêter à temps. Lui vient-il en mémoire quelque trait particulièrement savoureux, il en fait le sacrifice. Je m’en tairai, proteste-t-il, de peur d’offenser les oreilles chastes. C’est pour ces oreilles-là qu’il travaille et il ne se pardonnerait pas de les mettre à une épreuve un peu rude. S’il a laissé dans tel chapitre quelques contes « un peu gras en saupiquets », il prie qu’on les lui passe en faveur de plusieurs autres qu’il n’y a pas mis. Car il en avait d’autres « plus saugreneux » et partant « meilleurs ». Volontiers il les eût allégués, n’était qu’il n’a pu «les ombrager bien d’une belle modestie.» On ne s’attend pas d’abord à trouver Brantôme dans ce rôle de champion de la décence. Apparemment, c’est que tout est relatif. Tout de même il n’a pas été mauvais que les précieuses vinssent à passer par là pour apprendre aux écrivains à ne plus tenir devant les duchesses des propos qui sembleraient vifs à des charretiers.

En second lieu Brantôme a soin de ne pas nous livrer les noms des gens dont il nous détaille les prouesses. C’est un point important, sur lequel il insiste et auquel il revient à maintes reprises, ayant conscience de tenir par là conduite de galant homme. Notez-le en effet, ces contes ne sont pas tons de l’invention de Brantôme. Si biscornue qu’on ait l’imagination, de quelque manière qu’on ait le cerveau fait, et quand même il y aurait quelque chose de monstrueux dans l’affaire, il est telles ignominies qu’on n’invente pas : il faut que la réalité les fournisse. Certes l’écrivain ne s’est pas fait faute d’arranger les choses et de les embellir ; c’est par là même qu’il est écrivain. D’autres fois, quoiqu’il

  1. Brantôme, IX, 27.