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« Au bout de six à sept ans, s’estant faictz grandz d’aage et de courage, firent entreprise sur le meurtrier de leur père, si bien et si beau qu’estans un jour entrez en sa maison par surprise ils le tuarent, luy, sa femme, ses enfans, ses filles, tous ses serviteurs, bref jusques aux chiens, aux chats et tout ce qui estoit de vie léans. C’estoit vanger cela, et sans aucune espargne d’une seulle goutte de sang[1]. » Et voilà de ces traits à faire pâmer d’aise un Stendhal : il y a de l’énergie ! Après cela, il ne faut pas demander à Brantôme, sur certaines vertus bourgeoises, et par exemple sur la probité, les idées qui sont de mise dans notre société de marchands.il rapporte telle facétie de Charles IX, qui lui paraît tout à fait de gracieuse et plaisante invention. Ce prince eut fantaisie de convier à une fête de la cour dix « enfans de la matte », coupeurs de bourse choisis entre les plus habiles, et qui reçurent ordre de travailler de leur état. Ils dévalisèrent les gens sous les yeux du prince, qui, de rire, s’en tenait les côtes. Le gain leur fut intégralement distribué. Sur ces matières, Brantôme a un principe : c’est que la pauvreté est un grand mal et que si on la peut éviter par quelque moyen que ce soit, on fait bien. Sans être homme d’argent, il apprécie un profit légitime : « Rien n’est tant si coquin, ny doux, ny attirant qu’un butin, quel qu’il soit, soit de mer, soit de terre. » Le butin de terre est celui qu’on fait au cours des guerres civiles ; elles eurent pour beaucoup de pauvres gentilshommes cet avantage qu’elles leur permirent de remédier à la détresse de leurs affaires et de se remettre bien en point. Pour ce qui est du butin de mer il n’est pas besoin d’en donner une ample définition et cela s’entend de reste. C’est celui que faisait le meilleur ami de Brantôme, Strozzi. Ce pauvre seigneur, l’espace de vingt ans s’était toujours affectionné à avoir quelque bon navire sur mer qu’il envoyait ordinairement « busquer fortune ». Brantôme suivit ce bon exemple. Même il lui arriva de dépasser les limites dans lesquelles on admettait pour lors la piraterie.

Pourtant — et quelle que fût sa volonté de bien faire, — Brantôme ne réussissait pas au gré de ses désirs. Certes, il jouissait de l’estime de tous et on le tenait pour « gallant homme de bien ». Mais les richesses et les honneurs, les « moyens et les grades » n’étaient pas pour lui. Il avait beau n’épargner ni temps, ni sang, ni intrigues, ni fanfaronnades, il restait parmi les « petits compaignons », et enrageait d’en voir plusieurs qui ne le valaient pas « advancez comme potirons ». Sollicité plus d’une fois de se révolter, il était toujours resté dans le

  1. Brantôme, Éd. Lalanne, V, 246.