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avec les gracieuses stances du second chant de Mireio. La « course en sac », dont les émules se démenaient gauchement, enfouis jusqu’aux épaules dans des sacs gigantesques, accentuait encore la note comique.

Deux fêtes ecclésiastiques se rattachaient et se rattachent encore d’une manière intime aux anciennes mœurs agricoles. C’est d’abord la fête des Rogations, avec la procession à travers champs, procession moins suivie maintenant que par le passé. Puis la Saint-Eloi : chaque propriétaire d’un mulet ou d’un âne amenait, sur un emplacement désigné d’avance, pour y recevoir la bénédiction du curé, sa bête bien étrillée, pomponnée et ornée de rubans.

Actuellement, notre hameau possède un bureau de tabac, des cafés plus ou moins confortables, et même un cercle. Ainsi le veut la marche de la civilisation, et, sans nous réjouir outre mesure du nouvel état de choses, nous serons d’autant moins portés à regretter l’absence de ces établissemens au bon vieux temps qu’ils correspondent à des modifications d’habitudes plus apparentes que réelles. Au fond, la population est restée très sobre, comme autrefois. Les grands-pères fumaient ainsi que font les petits-fils : seulement, ils bourraient leurs pipes avec du méchant tabac récolté sur leur terre et desséché par leurs soins, en cachette de la régie, au lieu d’acheter les paquets de l’administration. Lorsque est venu le phylloxéra, nos paysans ont dû forcément renoncer au vin blanc ou rouge, aux liqueurs de ménage, aux fruits confits à l’eau-de-vie qu’ils préparaient chez eux, et consommer au cabaret de la bière ou de la limonade, du café ou de l’absinthe. Jamais les habitudes antiques ne reparaîtront dans la plénitude de leur simplicité, mais il est permis d’espérer qu’à la suite d’une suffisante reconstitution des vignobles, certains légers excès de consommation de boissons frelatées ne se renouvelleront plus. Les mœurs, du reste, ont sensiblement perdu de leur individualisme ancien, qui s’alliait pour les habitans des fermes isolées ou « bastides » avec un esprit d’hospitalité très bienveillant, et les cafés servent de lieux de réunion pour tous.

Quand survenaient les longues soirées d’hiver, les hommes, fatigués de leurs labeurs, montaient se coucher de bonne heure, mais leurs moitiés se donnaient rendez-vous à l’intérieur de quelque bergerie. Parfaitement garanties du froid extérieur par la chaude haleine des brebis, les paysannes tricotaient des bas à