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débat que ce seul mot peut soulever. Mais sans vouloir ici l’aborder, car il en soulève beaucoup d’autres, nous pouvons, en parcourant cette salle, nous poser simplement une question. Voici des centaines de femmes dont on conserve pieusement les images. Tout le monde peut dire qu’elles sont belles... De combien peut-on dire qu’elles sont ressemblantes? Et si leurs peintres, pour plus de ressemblance, avaient sacrifié leur valeur esthétique, seraient-elles ici et, même dans les collections de famille, les aurait-on aussi pieusement et à de telles places d’honneur conservées? Que deviennent les portraits d’ancêtres, quand, ressemblans autant que des photographies peuvent l’être, ils ont sacrifié à la ressemblance la grâce et la beauté? Que deviennent les médiocres images, quand on a perdu le souvenir des figures réelles? Assurément, si c’est un souvenir que nous cherchons à conserver, personnellement, de celles qui nous furent chères, la ressemblance prime toute qualité esthétique et très souvent un Nadar nous la fournira mieux qu’un Léonard de Vinci. Mais si c’est un souvenir pour plusieurs générations, si c’est une joie non pour le cœur d’un seul, mais pour les yeux de tous, qu’importe une ressemblance absolue, dont personne ne pourra témoigner dans un demi-siècle? Ce qui importe, c’est la vie.

Et c’est elle qui a gardé ces toiles de l’oubli. Tout ce qu’elles reflétaient a disparu. On conserve peut-être quelques-uns de ces oripeaux exquis, de ces nœuds, de ces boîtes à parfums, de ces rubis qui semblent des gouttes de sang, de ces colliers de perles qui semblent des rosaires de larmes, mais que sont devenues celles qui leur prêtaient le mouvement et l’éclat ? Les masques sont peut-être restés, mais où sont les visages? Les bagues, mais où sont les doigts? Les miroirs, mais où sont les sourires? Les cous souples et blancs se sont flétris et ont laissé les colliers vides, se soustrayant ainsi doucement aux multiples chaînes qui les retenaient aux rivages de la vie. Ces lettres, ces billets sont peut-être encore dans quelques coffrets, mais leurs aveux ne touchent plus personne, et la passion du lecteur ne pourrait pas plus les ranimer que les chauds vents d’automne ne raniment les feuilles mourantes.

De tout ce qui fut la grâce, la joie, l’enjouement, la beauté, rien ne reste que des objets froids et muets, — comme au soir de l’incendie d’un palais on ne retrouve parmi les cendres que des bijoux inutiles... Malgré soi, l’on se rappelle et l’on murmure,