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bras croisés ou approchés du corps et pliés sans contrainte sur l’estomac. » C’est bien ainsi que son temps l’a compris et qu’on l’avait compris avant lui. C’était la tradition des primitifs et des premiers renaissans. Considérez ici les portraits des XVIe et XVIIe siècles, à l’extrémité droite de la salle en entrant : vous y verrez les mains jointes, allongées dans l’attitude de la prière; ou modestement liées l’une à l’autre, dans celle du repos; ou tenant des livres ouverts, dans celle du soin et de la méditation. Là où les mains ne sont pas visibles, le visage est posé de telle sorte qu’il suffit à donner, pour tout le corps, l’idée d’une attitude simple et d’une douce gravité. Souvent il est de profil pur, et rien n’est simple et sérieux comme un profil : qui a jamais vu un profil bouffon ou même rieur? Voyez le double portrait de Jean Bentivoglio et de sa femme par Cossa, situés en face l’un de l’autre, se regardant franchement et droitement, au lieu de se tourner vers le spectateur ou de considérer par l’huis des rideaux entr’ouverts les canons braqués sur les toits de la ville et la ville elle-même, et les montagnes et l’horizon, et ce bout de ciel. Voyez la Bianca Maria Sforza, d’Ambrogio de Prédis et cette jeune femme, de Ghirlandajo... Vous ne reverrez plus de ces profils purs découpés comme des médailles sur fonds planes. Ils sont la marque d’une époque où les modèles avaient assez de modestie ou assez de confiance en leur beauté pour n’y rien vouloir ajouter par l’expression, et les peintres assez d’audace pour jouer le va-tout de leur talent sur une ligne sans faute et un modelé sans repentir.

De face ou de trois quarts, les figures de ces femmes gardent le même aspect modeste et recueilli. La Marguerite d’Autriche et la jeune femme lisant, de Mostaert, baissent les yeux sur les lignes attachantes de leurs livres d’heures. Les femmes de Clouet se tiennent droites et fermes. Encore au XVIIe siècle, celles de Van Keulen et de Philippe de Champaigne, Anne d’Autriche ou « une femme vêtue de noir » ne se laissent aller à aucune attitude nonchalante, et celle-là garde encore à la main le livre qu’elle ne lit déjà plus. La Maria Luisa de Tassis, de Van Dyck, a remplacé le livre par l’éventail : elle n’est déjà plus très modeste, mais demeure simple et digne. La raideur de l’apparat maintient les poses simples qu’avait inspirées la rectitude de la modestie. Mais comme nous avançons dans le XVIIe siècle, la machine humaine subit une détente. Les bras s’entr’ouvrent, las de s’être tenus, comme le veut Léonard, « croisés », le corps s’alanguit, les vêtemens