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La guerre était permanente ; le roi d’Espagne, plus riche que nous, fomentait les troubles qu’il avait suscités, corrompant par ses doublons tous ceux dont la conscience était à vendre. Des dépêches chiffrées adressées à ses agens étaient saisies sur toutes les routes. Un traducteur érudit, Vigenère, était chargé de les lire. Les Espagnols changèrent leurs conventions en introduisant cinq cents caractères nouveaux ; Vigenère s’avoua vaincu. On conservait les dépêches sans les comprendre. Henri IV les envoya à Viète. Après quinze jours d’application il avait découvert le secret et lisait les dépêches comme de l’algèbre. Grande fut l’admiration.

Les règles qu’il imagina, a dit Peiresc, étaient presque infaillibles. Un tel succès ne pouvait s’expliquer sans magie. Le roi de France, ennemi de Dieu, avait à son service un sorcier instruit à l’école de l’Autre ; on désignait ainsi celui dont le nom ne doit pas être prononcé. Le roi fut dénoncé au pape, qui répondit en souriant : « Le Béarnais est excommunié déjà, je ne puis rien contre lui. »

Une mission importante donnée à Viète fut la dernière marque de confiance qu’il reçut du roi. Le fils du procureur de Fontenay revint aux lieux de son enfance, honoré, fêté et courtisé par les plus grands personnages de la province. Le roi, fort incommodé dans ses finances, voulait créer des charges nouvelles et les vendre ; la mesure était une pure ressource pour subvenir aux dépenses croissantes.

« Tels gens, dit un pamphlet du temps parlant des notaires, ne prennent leurs offices pour utilité publique, moins pour le service du roi, mais seulement comme sangsues pour tirer le sang de ses vassaux. »

Les notaires, quel que fût leur nombre, s’enrichissaient toujours. Une ordonnance de 1536 est ainsi conçue :

« Pour ce qu’il y a en notre pays nombre effréné de notaires et tabellions, à la grande foule et oppression du peuple, sera le dit nombre resecqué et restreint et le département fait en chacun lieu du nombre qui sera trouvé y être requis et nécessaire pour ceux que nous commettrons pour y vaquer et pourvoir. »

C’est ce nombre effréné que Henri IV voulait rétablir, probablement accroître, car la plupart, sous François Ier, avaient trouvé moyen, par argent dépensé à propos, de se soustraire au « resecquage ». Viète fit payer les charges une seconde fois, en accroissant, — c’était nécessité et justice, — le droit de dévorer et de