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cation proposée par Benjamin Filon est sans vraisemblance. Quelles que fussent leurs relations, la duchesse de Loudunois, malgré ce qui lui était advenu, comme dit Henri III, ne pouvait être compromise par un aussi petit compagnon que Viète. Elle pouvait lui donner l’hospitalité, le consulter sur toutes choses, l’estimer et l’aimer à son aise, sans apparence d’en être blâmée. On pourrait proposer une autre conjecture. Viète a été marié, on ne sait ni à quelle époque de sa vie, ni qui il a épousé ; il n’est fait mention de Mme Viète que dans l’acte de décès de sa fille, qui mourut à Paris quinze ans après son père et fut enterrée à Notre-Dame. Juliette Leclerc, épouse légitime de Viète, faisait petite figure. Les châteaux où fréquentait le seigneur de la Bigottière ne lui étaient pas ouverts. La petite maison lui était destinée, et Viète allait l’y visiter…

Où le petit-fils d’un marchand, dont le père était procureur, avait-il acquis des titres de noblesse ? De la même façon qu’Arnolphe était devenu M. de la Souche. De telles usurpations étaient défendues, mais continuelles. Viète avait adopté pour armoiries une main arrosant un lys. On a cru voir dans ce lys une allusion orgueilleuse aux services rendus à deux rois de France : c’est une erreur. Le lys est une fleur du Parc ; son nom est Catherine.

Paris avait attiré Viète. Sous les auspices du président Brisson, son parent, il y reprit la robe d’avocat, mais la magistrature tentait son ambition. Les offices étaient en vente, non par droit reconnu, mais par tolérance. Une ordonnance de François Ier, qui jamais n’a été abolie, disait : « Homme ne soit si osé d’acheter office de judicature ni pour icelui bailler et promettre, par lui ne autre, or, argent, ni chose équipollente… S’il est trouvé avoir fait ni faisant le contraire, est, ipso facto, privé et débouté du dit office, et est cettuy impétrable. » On achetait les offices, et très publiquement. Le prix de chacun était connu. Les moins chers étaient ceux de la Cour de Rennes. La raison en est remarquable. Lors de la réunion de la Bretagne à la couronne, on avait décidé qu’un certain nombre de conseillers devaient être pris hors des neuf évêchés de Bretagne, non par fantaisie, mais dans l’espoir que, moins attachés aux coutumes reçues, ils feraient moins d’opposition aux changemens qui, dans tous les temps, se parent du nom de réformes. Les places qu’un Breton ne pouvait acquérir étaient à moins haut prix que les autres. Viète en acheta une.