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ment exceptionnelle ; elle l’était moins qu’ailleurs dans la famille de Parthenay. Clément Marot avait écrit à la grand’mère de Catherine :

De te parler de science latine,
D’en deviser près de toi ne suis digne.

Le latin était une langue vivante. Les jeunes filles l’apprenaient, comme aujourd’hui l’anglais ou l’allemand, et comme aujourd’hui, beaucoup mieux que leurs frères détournés par l’escrime, l’équitation, la danse et la chasse, anciens restes de la chevalerie, qu’on nommait alors exercices d’Académie, comme ils le sont chez nous par le baccalauréat.

Sur un point important, Catherine aurait pu en remontrer à son précepteur ; elle se plaisait aux textes sacrés : distinguait subtilement le sens littéral du sens figuré, connaissait le libre arbitre et le serf arbitre, décidait sur la présence réelle et affirmait avec Calvin la justification et la sanctification par la foi, douteuses l’une et l’autre pour de sa vans docteurs. Sa mère lui enseignait que le rire est une erreur, et la joie une tromperie. Sur ces hautes questions qui semblaient au château les plus considérables et les seules sérieuses, Viète s’avouait incompétent. Il aurait attristé ses hôtes en fuyant le prêche, mais on savait en l’y voyant qu’il y pensait à la réforme de l’algèbre.

On l’aimait cependant, et l’on priait l’Esprit Saint, qui souffle où il veut, de lui apporter la manne cachée. Comme on n’avait en sérieuse détestation que le papisme, on pouvait céder à la sympathie que Viète inspirait à tous. S’il était ignorant des vérités éternelles, il savait tout le reste et on en profitait. La dame de Soubise le considérait comme un trésor caché ; heureuse de rencontrer un secrétaire de si bon esprit, habile à écrire et à raisonner des choses, elle lui confiait l’immense correspondance et les secrets du parti. On avait au château de graves ennuis. Poltrot de Méré avait tué le duc de Guise. Une moitié de la France s’affligeait, Guise était pour elle un sauveur et un héros. L’autre moitié l’avait en malédiction, le traitait d’Antéchrist, de tigre et de vipère venimeuse. On disait plaisamment au Parc, en recevant la nouvelle, qu’il ferait bon mourir ce jour-là pendant que les escadrons de diables occupés à fêter en enfer le bourreau d’Amboise et le massacreur de Vassy ne pouvaient happer les âmes et remplir leurs bottées. On priait pour Poltrot chez Soubise, comme,