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FRANÇOIS VIÈTE.

Dans l’étude de Viète, les sacs étaient vides ou pendus au croc. À bout de patience, découragé, ruiné, menacé de pis, il renonça au métier. La foi chez lui était tiède, et le zèle catholique très petit ; il était de ceux qui n’entendent la messe que d’un genou. En politique, on l’accusait de modération, il agissait suivant le temps et l’occasion, ne désirant pour lui et pour les autres que la tranquillité et la paix. On ne s’étonnera pas qu’il ait accepté, on s’étonnera un peu plus qu’on lui ait proposé, dans une des citadelles de la Réforme, de faire l’éducation d’une petite protestante de onze ans, Catherine de Parthenay, fille unique de Jean de Parthenay-l’Archevêque, sieur de Soubise, et d’Antoinette d’Aubeterre, son épouse, tous deux huguenots militans. Le sieur de Soubise, un des chefs du parti, guerroyait sous les ordres de Goligny et de Condé. Souvent, il commandait en chef, sa famille le voyait rarement. Le château du Parc était un fort et une retraite où la dame de Soubise offrait, avec une généreuse hospitalité, le libre exercice du culte aux protestans fugitifs ou proscrits. La petite Catherine était admirée de tous ; intelligente, spirituelle, studieuse, singulièrement précoce, et instituée déjà en bonne discipline, elle apprenait avec reconnaissance tout ce que Viète voulait bien lui montrer. Latin, grec, algèbre, géométrie, astronomie, — il lui enseignait que la terre ne tourne pas, lui démontrait qu’elle ne peut tourner — Catherine comprenait tout. La charmante enfant parlait et écrivait le français avec gentillesse et bonne grâce. Les érudits du xvie siècle, et les hommes de quelque littérature, tout en s’inclinant devant les anciens, proclamaient et maintenaient la précellence de notre langage littéraire sur celui de Dante, de Pétrarque et d’Arioste. On répétait, après Henri Estienne : « Ils disent bien, mais nous savons dire mieux encore. » Très habile à manier la langue française, Viète, sans poétiser pour son compte, enseignait à son élève quels vocables étaient admis dans la langue poétique, l’exerçant aux élégies, aux sonnets, aux rondeaux dont elle savait les lois. La poésie, dans les combats et les luttes de la vie, était une arme souvent terrible. L’épigramme valait un poignard ; la chanson, Victor Hugo l’a dit depuis, servait de clairon à la pensée, et les psaumes mêlaient de viriles colères aux mollesses de l’amour divin. Catherine, appelée à jouer un rôle, préparait ses voies dès l’enfance. L’étude du latin, celle même du grec, pour une jeune fille de gentil esprit, que, sans arrière-pensée ironique, on nommait un bel esprit, n’était alors aucune-