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petites « pattes d’oiseau », et ce « bec », et cette « mèche » et cette « aiguille » ; tout ce pittoresque de l’image en fait presque oublier le sens, et le divin précepte n’est plus qu’amusette de félibre miniaturiste. Ainsi encore, les anges qui baisent « les copeaux pris dans la chevelure » de l’enfant Jésus ; et l’ombre de la feuille de figuier, pareille à une main et qui « souligne d’un doigt bleu », sur le livre du centurion lettré, quelque beau vers d’Horace. (Déjà, dans son généreux poème aux Grecs soulevés, M. Rostand comparait la Grèce à une main écarquillée, et il disait que cette main avait « pour bague d’or Athènes, et Sparte pour bague de fer », — ce qui était charmant, — et qu’elle reposait « sur le coussin bleu de la mer», — ce qui gâtait tout.) Et il y a encore d’autres mains bien singulières dans le psaume que chantent les habitans de Samarie :


Et que les fleuves transportés,
Sortant de leurs grands lits leurs bras de tous côtés,
Applaudissent de leurs mains vertes.


Cela est terrible, « mains vertes » s’aggravant ici d’un véritable jeu de mots sur « lits » et sur « bras ». Cette exactitude des images poussée aussi loin que possible dans le détail, et qui les glace à la fois et les rapetisse, c’est ce qu’on appelait jadis le «précieux ». On se demande si c’est bien le style qui convient le mieux à un poème évangélique.

Au dernier tableau, j’ai le chagrin de retrouver Jésus. Photine vient à lui, suivie de toute la ville, et lui dit ingénieusement, à la fin d’une tirade haletante, hachée exprès en tout petits morceaux, de la plus fausse « naïveté » et du désordre le plus artificiel :


Humble, je ne suis rien dans tout ceci. J’apporte
Les clefs... mais oui, c’est tout. J’apporte, — et ne suis rien! —
Les clefs de tous les cœurs sur le coussin du mien.


Et Jésus recommence à faire tour à tour l’homme supérieur et l’artiste, ce qui n’est pas du tout la même chose que le Dieu. Il explique, dans le style de M. Catulle Mendès, que Photine a laissé au fond de la cruche « l’orgueil cruel d’être une embûche vivante et rose. » Lorsque Photine lui dit que, tout le temps qu’il parlera, « il sentira sous ses pieds des cheveux de femmes », il faut croire que l’image lui agrée : car bientôt, — tandis que les jolies comédiennes de la Renaissance sont toutes couchées autour de lui en des poses voluptueuses, — après avoir dit, du ton d’un héros de drame historique :


Lorsqu’on évoquera ma figure lointaine.
Toujours la Madeleine ou la Samaritaine,