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tombent dans la misère la plus sordide et meurent dans la rue. Les femmes galantes ne se distinguent des autres femmes par aucune marque visible dans le costume ; elles ont en public une tenue irréprochable ; la tare qui leur vient de leur métier n’est pas indélébile et, si l’une d’elles est prise comme concubine, ce qui n’est pas rare, non seulement elle est capable de faire bonne figure dans une famille honnête et de se soumettre aux règles du gynécée, mais elle se trouve complètement réhabilitée et prend effectivement le rang que lui donne son titre d’épouse en second.

C’est parmi les esclaves aussi qu’il convient de ranger les concubines, dont j’ai déjà parlé plusieurs fois ; elles sont, en effet, achetées, peuvent être vendues, soit par le maître, soit, à son défaut, par son épouse ou ses héritiers : des fils, toutefois, ne sauraient sans impiété vendre la concubine de leur père. L’état de concubine n’est d’ailleurs souvent qu’une situation de fait; parfois, c’est l’épouse qui donne une concubine à son mari, soit parce qu’elle-même est privée d’enfans, soit, si elle reste à la maison tandis que le mari doit voyager, afin d’alléger pour lui l’ennui de la route et de le détourner des aventures. Quand une concubine entre dans la maison, elle doit passer à genoux entre les jambes d’un pantalon de l’épouse et recevoir de celle-ci quelques coups de fouet en signe de soumission : mais cette coutume, qui résume bien la situation des deux femmes, n’est pas générale; j’ai eu connaissance, au contraire, d’un cas où des parens donnant à leur fils une concubine, avant la conclusion du mariage rituel et du consentement de la famille de la fiancée, l’union secondaire fut accompagnée de cadeaux et de festins comme un véritable mariage (les cérémonies essentielles furent naturellement supprimées) ; on voulait par là témoigner des égards à la famille très honorable de la concubine. Habituellement, ce n’est que la misère qui engage un père à vendre sa fille comme femme secondaire, à la soumettre à l’autorité d’une épouse principale et à la priver d’une véritable postérité : car les enfans de la concubine sont réputés issus de la principale épouse, qu’ils appellent mama ou grande mama, tandis qu’ils donnent à leur propre mère le nom de tante ; les fils ont part à l’héritage paternel, ils ont accès aux fonctions publiques; ce n’est que pour les titres nobiliaires que les fils de l’épouse rituelle ont le pas sur les autres. La loi et la coutume admettent donc pleinement les concubines, qui sont souvent