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par l’Etat dans chaque district; les femmes y ont un quartier séparé, elles sont nourries de millet ou de riz très clair, ne sortent jamais, sont soignées par le médecin officiel du district et reçoivent à leur mort un cercueil payé par le sous-préfet; mais le nombre des places est limité; et, d’autre part, les asiles privés et les associations de secours à domicile sont non moins insuffisans. Enfin, lorsqu’une de ces pauvres femmes, veuve, mariée ou fille, termine sa vie de misère, on l’enterre aussi convenablement que l’on peut, car les Chinois ont le respect de la mort : le tombeau est un simple monticule de terre; ceux qui n’ont même pas un champ qui leur appartienne, abandonnent le cercueil dans la campagne, où il reste tant que la pluie et les inondations ne l’ont pas fait disparaître; il n’y a pas de tablette funéraire, pas de religion domestique ; parfois les survivans vont brûler un peu d’encens à la bonzerie, et c’est tout : les pauvres gens, en Chine, souffrent de la faim dans le tombeau, comme ils en ont souffert sur terre; heureusement, la croyance à la transmigration est très répandue et corrige ce que les idées purement chinoises ont de trop amer.

Je n’ai pas chargé le tableau de ces misères physiques et morales : il n’est que juste d’ajouter qu’entre la richesse et cette pauvreté extrême, il y a une multitude de degrés ; les familles montent et descendent ces échelons suivant leur chance et leur savoir-faire : c’est surtout dans la population urbaine que ces changemens de fortune sont profonds et fréquens, tandis que, parmi les cultivateurs, il y en a un bon nombre qui sont propriétaires de leur champ depuis des générations. Avec la situation de fortune, la condition de la femme s’élève ou s’abaisse : les femmes d’ouvriers et de cultivateurs aisés tiennent plus de place dans leur ménage qu’une femme riche dans le sien, le travail diminue la distance des sexes, il n’y a pas de concubine qui désunisse les époux. On rencontre à chaque pas ces femmes du peuple, car la claustration du gynécée n’est possible que dans une vie d’oisiveté; elles vont et viennent, proprement vêtues de toile bleue, avec un anneau d’argent au doigt, des boucles d’oreilles, signes d’une certaine recherche ; elles bavardent avec les voisines et ne sont pas embarrassées pour parler à un voisin ou le saluer au passage : ces rapports entre les deux sexes sont toujours marqués par beaucoup de retenue et de courtoisie, plus à coup sûr que dans nos grandes villes.