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deux familles ; quant à l’union de deux êtres ayant chacun une personnalité, on n’y pense guère ; la personnalité, encore ici, disparaît dans la fonction familiale ; l’on arrive ainsi à une conséquence étrange, les mariages post mortem : deux jeunes gens étant morts, si les conditions requises sont remplies de sorte qu’on eût pu les marier de leur vivant, on exhume la fille et on va l’enterrer auprès du garçon, en faisant précéder le cercueil d’un petit drapeau rouge, pour montrer le chemin à son âme : ainsi, comme disent les Chinois, ils ne restent pas seuls au cimetière et, leurs os étant mêlés, ils n’auront pas eu un corps humain en vain ; de plus, les deux familles sont apparentées, ce qui est toujours un bien. Dans les mariages de vivans, il arrive parfois que les jeunes filles n’admettent pas que l’on dispose d’elles contre leur gré : on m’en a cité qui, après la cérémonie nuptiale, avaient refusé la cohabitation, menaçant de se poignarder, si l’on prétendait les contraindre ; d’autres restent chez leurs parens, ou entrent dans les monastères bouddhiques, dont je parlerai plus loin ; j’ai même appris l’existence, dans la Chine du sud, de la Société des Iris d’or, association secrète de jeunes filles qui ont fait vœu de se tuer plutôt que de se marier contre leur goût. Toutefois, de pareilles marques d’indépendance sont exceptionnelles.

Presque jamais les négociations préliminaires des fiançailles n’ont lieu entre les chefs des deux familles ; suivant la règle antique, on a recours à des entremetteurs, ou plutôt à des entremetteuses : en Chine, en effet, jamais une affaire ne se conclut directement entre les parties, il y a toujours au moins un intermédiaire, au moyen duquel on fixe les principales conditions avant que les intéressés se rencontrent ; ce procédé est lent, coûteux, mais il épargne les froissemens, ce qui est à considérer, avec le caractère vindicatif des Asiatiques ; si l’affaire se conclut, l’intermédiaire signe à l’acte comme témoin. La présence des entremetteuses dans les mariages dérive de la même idée : elles mettent les familles en rapport, font connaître la situation des unes et des autres, aident à fixer les conditions et les dates, garantissent l’honorabilité des parens, le caractère des belles-mères et des brus, les qualités des époux ; elles ne signent pas les lettres rouges qui s’échangent entre les parties, mais leur témoignage est toujours invoqué en justice, en cas de difficultés ; en pratique, ce sont généralement des femmes besogneuses, qui connaissent toutes les familles de la ville ou du district, savent la fortune, les qualités et