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« Mais, hélas ! il me faut voir en toi une princesse ; tu te montres à mes yeux imposante, inaccessible ; je m’incline devant ton regard qui m’effleure. »

Si quelques-unes de ces pièces font croire à un innocent jeu du cœur, à un flirt sentimental plus attendri que passionné, d’autres élèvent le ton, et montrent à quel point l’illustre conseiller privé, le mari apaisé de Christiane, retrouvait ses transports d’autrefois :

« En traits de flammes était profondément gravé dans le cœur de Pétrarque, plus que tous les autres jours, le Vendredi Saint : il en est de même pour moi, j’ose le dire, de l’Avent de 1807.

« Je ne commençai pas, je continuai seulement, d’aimer celle que, de bonne heure., j’avais portée dans mon cœur, qu’ensuite j’avais vaguement bannie de ma pensée, et qui maintenant me ramène dans ses bras.

« L’amour de Pétrarque, infini, sublime, resta sans récompense, hélas ! et, triste à l’excès, fut un martyre, un éternel Vendredi-Saint.

« Mais qu’à l’avenir, la joyeuse et douce approche de ma maîtresse ne cesse de me paraître, parmi les palmes triomphantes et les frémissemens de joie, comme un éternel jour de mai ! »

Nous ne savons pas quels effets produisirent ces sonnets — et l’orgueil de les avoir inspirés — sur l’imagination de Minna Herzlieb. Nous savons seulement que Gœthe quitta Iéna en proie à une douloureuse exaltation, et commença presque aussitôt les Affinités électives, qu’il acheva au commencement d’octobre de l’année suivante, « sans que l’impression du contenu, disait-il, ait pu se perdre entièrement. » Quant à Minna, elle ne tarda pas à quitter Iéna, où plus tard elle épousa le professeur Walch (1821). Son mariage ne fut pas heureux. Enfin, elle tomba dans une maladie d’esprit, dont la mort la délivra en 1865. L’amour de Gœthe ne portait pas bonheur.

Les Affinités électives sont donc un roman personnel, autobiographique, bien plus que les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, au même titre à peu près que Werther. Une série de traits assez frappans vont une fois de plus nous montrer les procédés — on pourrait presque dire la méthode — par lesquels le génie de Gœthe transformait, en les embellissant, les données que lui fournissait sa propre vie.

On reconnaîtra que son roman authentique — pour autant que