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avoue, sans hésiter, n’ayant point l’habitude de contredire ; mais pour le suivre, il faudrait une singulière bonne volonté. Quant au Citoyen général, Gœthe disait au même confident : « C’était dans son temps une très bonne pièce, et elle nous a procuré plus d’une joyeuse soirée. » On a peine à s’expliquer de telles illusions : vainement on chercherait dans le Grand Cophte un sens historique, ou autre chose qu’une pièce digne à peine d’un dramaturge de second ou de troisième rang ; le Citoyen général n’est qu’une farce assez basse, un faible vaudeville ; on ne saurait que dire des Entretiens, dont la lecture serait difficile aujourd’hui. Tout au plus peut-on s’intéresser, dans les Révoltés, à deux silhouettes assez finement observées ou devinées : celle du chirurgien Brème de Bremenfeld, personnage vaniteux, important, prétentieux et sot, qui paraît un ancêtre des Homais d’aujourd’hui, et celle d’un précepteur aigri, qui rappelle le neveu de Rameau et annonce Jacques Vingtras. Pour trouver dans l’œuvre de Gœthe une trace plus heureuse des émotions de l’époque révolutionnaire, il faut aller jusqu’à Hermann et Dorothée, où elles s’agitent à l’arrière-plan.

Est-ce à la campagne de France, aux lectures sous la tente de quelques-uns de nos écrivains ; est-ce plus simplement aux goûts classiques de Charles-Auguste, qu’il faut attribuer un revirement assez singulier dans les idées littéraires de Gœthe ? Toujours est-il que, pendant cette période, il se rapproche de la littérature française, de la littérature du xviii° siècle, de la littérature « rococo ». On se rappelle qu’au temps de sa jeunesse, il la tenait en grand mépris : Herder et lui, dans leurs entretiens de Strasbourg, jugeaient avec une extrême sévérité Voltaire, Diderot, d’Holbach et leurs amis. Et maintenant, le voici interrompant son Faust, abandonnant le projet longuement caressé d’une épopée homérique (l’Achilléide), pour se dévouer à l’adaptation de deux tragédies de Voltaire, Mahomet et Tancrède, destinées aux représentations du théâtre de la cour. Il prend goût à ce travail, il y consacre beaucoup de temps, il discute avec Schiller les modifications qu’il veut imposer aux textes originaux. Que nous sommes loin de « l’art allemand », de sa restauration et de sa création ! Mais Gœthe n’a jamais craint de se contredire. Schiller, au contraire, plus conséquent, plus consciencieux, plus théoricien, se troubla quelque peu de cet énorme accroc donné à leur commune esthétique ; et, pour répondre aux critiques qu’il