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tomber dans la Confédération américaine qui ne peut manquer de la recevoir; mais la première, la politique officielle, sous-entend « tôt ou tard », et la seconde, la politique populaire, crie « tout de suite » !

A la vérité, les deux politiques de l’Union quant à la question cubaine ne sont peut-être pas, dans la réalité des faits et de la vie, aussi distinctes, aussi nettement séparées; c’est peut-être un peu artificiellement qu’on en ferait deux catégories; et elles se confondent peut-être ou, du moins, se rejoignent par instans. N’est-ce pas la politique populaire qui perce dans les motions déposées au Sénat et à la Chambre des représentans ; motions pour la plupart radicales et quelques-unes belliqueuses, tendant ou à reconnaître la belligérance aux insurgés et l’indépendance de Cuba ; ou même à intervenir entre les Cubains et l’Espagne, en menant la médiation jusqu’au bout? N’est-ce pas elle encore dont on devine la pression et la poussée dans certains paragraphes du message, cependant si calme et si ferme, de M. Cleveland? D’autre part, la correction, la prudence de la politique officielle a-t-elle été sans réagir sur la politique populaire? et, si le jingoïsme américain n’a pas brisé tout frein et perdu toute mesure dans ses expansions en paroles et en actes, n’est-ce pas à cette réaction de la première des deux politiques sur la seconde qu’il faut en attribuer le mérite? Oui, si les choses n’ont pas pris, entre les États-Unis et l’Espagne un plus mauvais cours; si la paix a été maintenue, si l’on peut espérer qu’elle continuera de l’être, si toutes les chances sont pour qu’elle le soit, — c’est au gouvernement des États-Unis qu’on le doit.

Mais non pas seulement à lui : le maintien de la paix, on le doit aussi, et pour beaucoup, au sang-froid du gouvernement et de la nation espagnols. Quand dans les meetings, aux États-Unis, on déchirait et brûlait le drapeau espagnol ; quand on pendait en effigie Weyler, général espagnol ; quand les journaux américains étaient remplis de menaces et d’injures contre l’Espagne, on pouvait craindre que la fierté, ou l’orgueil, ou le point d’honneur espagnols, — quelque nom qu’on veuille donner à ce travers qui est souvent une si grande vertu et toujours une si grande force ; — on pouvait craindre que ce qui est toute l’Espagne dans l’Espagne d’aujourd’hui ne se révoltât et que les Espagnols ne se souvinssent qu’il y avait chez eux un ministre, des consuls, des citoyens, des drapeaux et des écussons américains : lesquels drapeaux