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doute, de conciliation et de justice »; s’il y adressa un salut aux gloires anciennes, si même il reconnut et rappela les vertus présentes de l’Espagne, huit jours après, à New-York, bien que les termes en fussent adoucis et voilés encore, le vieux langage et la vieille pensée, le fond du vieil homme reparut. Plus de 5 000 personnes avaient défilé sous les fenêtres de l’hôtel où logeait M. Soulé, en une de ces processions bruyantes dans lesquelles l’esprit public aime là-bas à se manifester; et, parmi ces S 000 personnes, la Junte révolutionnaire cubaine, les membres de l’ordre de l’Étoile solitaire et de beaucoup d’autres associations.

Le drapeau américain marchait en tête, suivi d’une quantité de bannières, d’oriflammes et de transparens : on y voyait, peints ou brodés, M. Soulé lui-même, le Président Pierce, Cuba, la Jeune Amérique et Cuba, avec diverses inscriptions déclarant que Cuba serait arrachée des griffes du loup espagnol, Lopez et Critenden, un des citoyens de l’Union exécutés à Atarès. Mais ce qui dominait, c’était l’étoile symbolique, l’étoile de Cuba ; on l’avait mise partout: c’était elle qui inspirait décorateurs et orateurs. Le secrétaire du Comité annexionniste cubain, don Miguel Tolon, terminait ainsi sa harangue : « Que Dieu daigne tracer de son doigt la route au bateau qui va vous conduire, et faire briller sur votre front les rayons d’une nouvelle étoile dans le ciel de la jeune Amérique ! »

A quoi M. Pierre Soulé, ne se contenant plus que malaisément, répliqua : « Il n’est pas possible de croire que cette puissante nation puisse rester plus longtemps enchaînée dans les étroites limites qui circonscrivent la jeune république américaine... Je ne vois dans ma mission rien d’incompatible avec mes ardentes sympathies pour ceux qui souffrent, avec leurs espérances en un avenir meilleur et leurs vœux fervens pour la liberté. Je ne dois point vous parler plus longuement de cette mission, mais je dois vous dire qu’un ministre américain ne cesse jamais d’être citoyen américain, et que, comme tel, il a le droit de prêter l’oreille aux cris d’angoisse que jettent les peuples opprimés... » M. Soulé ajouta « de l’ancien continent », mais la foule voulait comprendre et comprit : « du Nouveau Monde ».

Dieu, de son doigt, daigna tracer la route au navire qui emportait ce ministre américain plus que jamais citoyen américain : vers la fin de l’été M. Pierre Soulé était à Madrid, ayant pu, pendant le voyage, méditer les instructions de M. Marcy : « Il peut