Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conseil que j’aurais à donner aux peintres, ce serait de voir pendant un an, tous les huit jours une fois, la galerie du Luxembourg ; ce jour-là serait, sans doute, le mieux employé de la semaine. » Dans cette étude qui, suivant la mode d’alors, est présentée sous forme d’une conversation, Damon, en interlocuteur complaisant, ayant timidement hasardé quelques réserves sur l’exagération que présentent chez Rubens les lumières et les couleurs qui, loin d’être l’image de la nature, n’apparaissent chez lui que comme « un fard » : — « Oh ! le beau fard, reprend aussitôt, sous le nom de Pamphile, de Piles lui-même, et plût à Dieu que les tableaux qu’on fait aujourd’hui fussent fardés de cette sorte !.. La nature est ingrate d’elle-même et qui s’attacherait à la copier simplement comme elle est, sans artifice, ferait toujours quelque chose de pauvre et d’un très petit goût. Ce que vous nommez exagération est une admirable industrie qui fait paraître les objets peints plus véritables que les véritables eux-mêmes. »

De Piles devait rencontrer un contradicteur moins accommodant chez un de ses contemporains, André Félibien, qui, tout en rendant justice à Rubens, était cependant plus sensible aux beautés de l’art italien, qu’il avait appris à goûter à Rome en vivant dans l’intimité de Poussin. Dans ses Entretiens sur les Vies et les Ouvrages des plus excellens peintres, qui sont comme une réponse indirecte aux Dialogues de De Piles, l’abus de l’allégorie que nous avons signalé chez Rubens est déjà relevé avec autant de verdeur que de bon sens. Le passage qui le vise vaut la peine d’être rapporté. « Tous les peintres, dit Pymandre, sont si accoutumés à traiter des sujets profanes qu’il s’en trouve peu, quelque savans et judicieux qu’ils soient, qui ne mêlent la fable parmi les actions les plus sérieuses et les plus chrétiennes. Leur esprit remplis des idées de l’antiquité païenne et de l’étude qu’ils ont faite d’après les statues et les bas-reliefs, ne peut quasi rien produire qui n’en reçoive l’impression et le caractère. Car, je vous prie, qu’ont affaire dans l’histoire d’Henri IV et de Marie de Médicis, l’Amour, l’Hymen, Mercure, les Grâces, des Tritons et des Néréides ? et quel rapport ont les divinités de la Fable avec les cérémonies de l’Église et nos coutumes, pour les joindre et les confondre ensemble de la sorte que Rubens a fait dans les ouvrages dont vous venez de parler ? — Vous touchez là un abus, lui répliquai-je, auquel on ne peut trop s’opposer, et c’est une des choses que Rubens devait éviter plus qu’aucun autre peintre