Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
EN NORVÈGE

En mer, sur les côtes norvégiennes, sous le cercle polaire. — Au troisième jour de la création, quand Dieu sépara les eaux des terres, la Norvège fut évidemment oubliée. — Des îles partout : c’est une voie lactée dans l’Océan. Il y en a de toutes les sortes, de petites, rondes et basses, pareilles à des cétacés à fleur d’eau, d’autres, plus grandes, aux silhouettes légères, vers la terre enfin de gigantesques massifs montagneux. Les plus proches ont l’aspect métallique de vieux bronzes usés; solides et vivantes, avec leurs belles lignes anguleuses, leurs fortes ombres qui font détoner leurs reflets brillans au soleil, elles semblent de magnifiques morceaux de sculpture laissés par un autre âge; un peu plus loin, elles apparaissent plus pâles, bleutées à l’horizon, d’un bleu incertain et impondérable qui leur enlève toute réalité. Cet archipel septentrional, c’est la ceinture annelée et rocheuse du continent scandinave : c’est une fortification avancée qui se dresse devant la mer libre, et brise l’effort de l’Océan pour ne laisser arriver à la côte qu’un flot dompté, soumis à l’homme.— Immobile dans la voluptueuse et magnifique clarté du soleil froid, l’eau sereine est toute pareille au ciel pâle dont aucune ligne nette ne la sépare. Les rochers inertes y plongent comme s’ils y nageaient, et on croirait en les touchant les faire enfoncer du doigt. Sa surface brillante et lisse, qui ne réfléchit rien, porte sans effort les îles sans racines, dont les mirages nous renvoient parfois la double image renversée. C’est un élément incolore, indéterminé et irréel, une simple surface sans apparence de profondeur, où nous glissons comme dans une rainure de scène, et où les objets se posent