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vous avez eue, lui dit le général, de n’être pas devenu l’officier d’ordonnance du duc d’Aumale ! Le rôle des d’Orléans est fini, l’avenir est maintenant au prince Louis-Napoléon ; le voilà député, il va devenir Président de la République. » Ce fut un trait de lumière : Fleury se mit à courir après Persigny, finit par l’atteindre dans un des recoins où il se dérobait à la police. Justement il manquait au Prince, isolé dans l’armée comme dans la politique, un officier supérieur, audacieux, intelligent, dévoué, qui pût lui servir d’aide de camp et lui gagner le jeune état-major. Persigny comprit que Fleury serait cet auxiliaire désiré. Il le conduisit auprès du Prince. On se reconnut, on s’expliqua, on se convint, on s’engagea ; et, dès le lendemain, Fleury, installé en qualité d’aide de camp in partibus, suivait partout le futur président, armé d’une canne à épée et d’un revolver, ne prenant pas même la peine, son congé étant expiré, de le faire renouveler, tant il était certain du résultat de l’élection.

Il n’avait pas été attiré vers l’héritier de Napoléon par fanatisme bonapartiste, ni par dévouement à une idée quelconque ; il avait obéi à un instinct de beau joueur qui va où l’on gagnera, où l’on pourra faire une brillante et prompte fortune et bien s’amuser. Plus tard, ce qui avait commencé par un calcul devint un dévouement affectueux, sérieux, constant. Elégant cavalier, il avait les formes aimables et les libres allures de qui a beaucoup vécu et l’aisance souple de qui est habitué à affronter gaiement les périls. Il ne fallait pas demander à son esprit dépourvu de forte culture l’étendue, l’élévation, la vigueur, mais on y trouvait autant qu’on le voulait la justesse et la sûreté du jugement, la perspicacité à discerner, la meilleure conduite pour obtenir une réussite. Il excellait à traiter avec les hommes, à s’insinuer dans leur confiance, à flatter leur amour-propre, à caresser ou allumer leur ambition ; il savait aussi ménager les rapprochemens, remplir avec sang-froid les missions risquées, poursuivre avec dextérité les négociations épineuses. Sa faiblesse était d’aimer à dépenser beaucoup, à mener un train fastueux d’apparat, et à se donner de l’importance. Au régiment on le nommait, M. le Grand. Il s’estimait sous toutes les formes et partout un irrésistible conquérant. S’était-il mêlé dans une mesure quelconque d’une affaire, il eût été difficile de lui persuader qu’il ne l’avait pas décidée à lui tout seul. Toutefois il n’a pas exagéré les services qu’il rendit à cette époque. Ils furent de première importance.