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aimable envers l’étranger que ses amis traitaient en ennemi.

Les caresses n’ayant pas réussi, Persigny se dit, que, même en diplomatie, être désagréable et grincheux n’est pas toujours le plus mauvais moyen d’obtenir des égards. On s’obstinait à ne pas prendre son gouvernement au sérieux, il s’efforça de le faire paraître dangereux. Au compliment de Frédéric-Charles il riposta sèchement : « Votre Altesse arrange à sa guise l’histoire de France ; » puis, sans attendre que, selon l’étiquette, il l’eût congédié, il lui fit un profond salut et lui tourna le dos. — Il ne fallait pas, disait-il de tous les côtés, recommencer avec le neveu de l’Empereur la conduite qu’on avait tenue avec le gouvernement de Juillet, mais le traiter comme s’il avait une légitimité de huit siècles. Si la France était de nouveau placée dans l’alternative ou de subir des humiliations ou de prendre les armes, elle aurait bien vite fait son choix, et cela non pas dans une pensée d’orgueil ou d’ambition, mais pour sauver l’Europe de grands malheurs, parce qu’il valait mille fois mieux pour la société lutter sur les champs de bataille que tomber dans le socialisme. L’Europe tremblerait alors au cri de guerre poussé par le neveu de l’Empereur.

Ces fanfaronnades ne réussirent pas mieux que les caresses, et le colérique ambassadeur dut enfin se convaincre qu’on ne l’avait demandé ni pour ses mérites, ni par considération pour son Prince, ni par amitié pour la France, et qu’on avait songé uniquement à se servir de sa présence comme le paysan se sert d’un mannequin de paille pour effaroucher les pies.

Cependant il ne convenait pas à l’Autriche de laisser debout cet épouvantail, elle marcha dessus. D’abord elle répandit en Allemagne par ses affidés et ses journaux le bruit que Persigny ne se souciait pas plus de l’Union restreinte que de la grande Allemagne, qu’il avait été envoyé pour trafiquer du Rhin. On affecta de le croire et on le crut même à Berlin. « Il n’en a dit un mot nulle part et à personne, c’est vrai, mais il n’en pense pas moins, défions-nous[1]. » La seconde manœuvre de Schwarzenberg fut encore plus habile. Il décida le roi à réclamer de la Suisse l’expulsion des réfugiés de Neuchâtel, en invitant la France, par une

  1. Dépêche de Persigny : « On cherche à dénaturer ma conduite. On suppose que je ne suis venu ici que pour demander à la Prusse les provinces rhénanes en échange de son agrandissement en Allemagne. Le gouvernement prussien tâche d’accréditer ce bruit. C’est d’une mauvaise foi insigne, car il sait que je n’ai jamais prononcé un mot semblable. »