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soubrette, apprend d’elle que Milady reçoit la nuit les visites de M. de Vardes, et certain soir, à la faveur de l’obscurité, prend la place de M. de Vardes. À peu de temps de là, il reçoit une lettre anonyme, fort tendre, qui l’invite à se rendre entre deux et trois heures à la porte Saint-Antoine et à monter dans le carrosse de louage qui l’y attendra : il y monte, y voit une femme masquée qui l’accueille avec les plus vives caresses, la suit dans une maison de Montreuil et, quand elle se démasque, reconnaît en elle, un peu tard, la femme de son ami le plus cher. Une riche veuve qu’il allait épouser, disparaît soudain ; elle avait un fils qui, peu soucieux de voir sa fortune passer aux mains d’un étranger, a obtenu contre elle une lettre de cachet ; d’Artagnan ne la retrouve qu’après de longues recherches, dans une prison, et ne parvient jusqu’à elle que pour l’y voir mourir. Mais je renonce à compter ses bonnes fortunes et ses prouesses ; je renonce à le suivre dans le cabinet de Mazarin, sur les barricades de la Fronde, en Angleterre, en Hollande, à l’armée, à la Bastille ; trois volumes de Sandras ne peuvent se résumer en une page.

Est-ce bien ainsi qu’avaient vécu M. de Bouy, le comte de Rochefort, et Charles de Batz Castelmore d’Artagnan, tué le 25 juin 1673 au siège de Maëstricht ? Si je le croyais, je ne m’occuperais point de Sandras. C’est parce qu’il a amplifié, embelli l’histoire de leur vie qu’il nous intéresse, puisque c’est par là qu’il est un romancier. Mais, d’une part, ce que nous savons d’eux et surtout de l’un d’entre eux, nous indique qu’il s’était renseigné sur leur compte, qu’il les avait peut-être même personnellement connus, qu’il prenait dans leur biographie les faits principaux et en quelque sorte la charpente de ses romans. Il est très vrai que d’Artagnan était Béarnais, comme M. de Tréville, comme Armand Athos d’Autevielle dont l’acte de décès s’est retrouvé de nos jours, comme Aramis et Porthos dont les noms sont ceux de petits fiefs voisins l’un d’Autevielle et l’autre de Castelmore. Il est très vrai que d’Artagnan a servi dans les gardes avant d’être lieutenant, puis capitaine-lieutenant de la première compagnie des mousquetaires. Un billet de Colbert à Mazarin, daté du 4 mai 1651, atteste qu’il était l’homme de confiance du cardinal et jouait près de lui le rôle que lui attribue Sandras. Une lettre bien connue de Mme de Sévigné nous le montre chargé, comme le dit Sandras, de garder Fouquet pendant son long procès. Non, Sandras n’invente pas tout ce qu’il raconte : comment