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qui ne soient frappées de discrédit. La Chambre des représentans, toujours enfant terrible, a trouvé le moyen de se surpasser dans la pratique du lobbyisme, du log-rolling, et autres péchés mignons des législateurs américains. Le Sénat, — qui est peut-être, avec la Cour suprême, la clef de voûte de cet édifice majestueux, — ce grand corps destiné à servir de trait d’union entre les deux pouvoirs, législatif et exécutif, aux attributions desquels il participe, — cette vénérable assemblée chargée de représenter le principe de la souveraineté des États particuliers et de jouer le rôle d’un congrès d’ambassadeurs plus encore que d’une Chambre législative, — le Sénat lui-même a subi une étrange décadence... Ce n’est plus l’imposante assemblée au sein de laquelle les Calhoun, les Clay, les Webster, les Sumner exerçaient avec dignité un mandat quasi international. Des superbes privilèges qui convenaient si bien à un corps de graves plénipotentiaires, il n’a guère conservé que ce qu’il en faut pour paralyser son action : l’absence de règlement, de clôture, de puissance disciplinaire. Il est devenu le terrain de manœuvres préféré des grands acheteurs de votes : témoin le scandale de l’article des sucres dans le tarif Carlisle. Grâce à l’érection précipitée en États de territoires du Far West, à peine sortis de la phase turbulente du camp de mineurs, il compte parmi ses quatre-vingt-dix membres un fort contingent de démagogues : populistes, argentistes, popocrates, etc.

De tout cela résulte, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, une croissante indifférence à l’égard de l’œuvre des ancêtres et comme une tentation de demander aux hommes ce que les institutions semblent impuissantes à donner. La grande partie qui vient de se jouer n’est rassurante qu’à demi en dépit de l’issue, c’est-à-dire de la victoire, avec M. Mac-Kinley, de la cause de l’ordre social ; et de la défaite, avec M. Bryan, d’un charlatanisme assez grossier. Des forces révolutionnaires jusqu’ici inconnues ont paru sur la scène. On a entrevu le spectre inquiétant d’une sorte de césarisme socialiste, ennemi de la Constitution et de ses garanties, de la Cour suprême et de ses prérogatives, de la séparation des pouvoirs et autres institutions tutélaires, sauvegarde de la liberté dans une grande démocratie. D’autre part, l’armée de l’ordre a paru trop docilement obéissante aux volontés, aux intérêts et jusqu’aux préjugés d’une espèce de haute finance, dont l’omnipotence économique est un grave péril et dont la toute-puissance politique serait un mal plus grand encore. Entre