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principaux États du monde, afin d’y faire toucher du doigt cette dangereuse réaction contre les formes consacrées du libéralisme ou du constitutionnalisme historique.

L’Allemagne n’a pas encore conquis le régime parlementaire. Contentons-nous donc, — en dehors du courant étrange qui emporte vers le pouvoir personnel et qui tend à retremper dans les eaux troubles du napoléonisme la royauté germanique des Hohenzollern, — d’y signaler la crise à laquelle n’ont pas échappé les partis. Par malheur, si c’est avant tout le parti de l’ordre moral qui se trouve éclaboussé de la boue de tant de récens scandales, tous les autres semblent en proie à une sorte de décomposition. Les nationaux-libéraux, ces opportunistes de l’Allemagne, jadis agens si actifs et si puissans de l’unité germanique, aujourd’hui finalement apprivoisés et domestiqués, ont abdiqué tout vestige de leur ancien libéralisme. Ils ouvrent leurs rangs à des agrariens et à des antisémites. Ils ne retrouvent plus assez de virilité pour se dégager des complicités réactionnaires. Ils se voient peu à peu délaissés par les électeurs. Le centre catholique, cet admirable parti de résistance que Windthorst conduisit si longtemps à la victoire et qui sut, dans le Kulturkampf, faire reculer et capituler Bismarck au zénith de sa fortune, le centre hésite, ne se sent plus dirigé, devient presque gouvernemental, et perd ce caractère unique d’armée libérale de la foi et de champion tout moderne de l’Eglise éternelle. Dans les rangs du parti progressiste, le doute et le découragement ont fait aussi leur œuvre. Un schisme l’a coupé en deux tronçons, dont l’un se distingue mal de l’incolore et inerte nationalisme libéral, et dont l’autre, malgré l’énergie de M. Richter, met surtout en lumière l’impuissance vieillotte et l’impopularité foncière du radicalisme bourgeois. En face de tous ces groupes plus ou moins frappés de langueur, la démocratie socialiste seule grandit sans cesse; elle tend de plus en plus à englober dans ses cadres fortement constitués la totalité des classes ouvrières allemandes; elle est assez forte pour représenter tout à la fois la révolution de l’avenir et l’opposition légale du présent.

Cette espèce de banqueroute du libéralisme bourgeois est encore plus tragiquement complète en Autriche. Là on dirait vraiment que ce parti politique, après avoir joué un si grand rôle dans la révolution de 4848, et dans l’ère constitutionnelle qui suivit Sadowa, n’a même plus place au soleil. Exproprié d’un côté par