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semblait devoir marquer la fin des longues expériences de la France. Faire du définitif avec du provisoire, — c’est-à-dire prendre l’instabilité même, légalisée, régularisée, comme le grand ressort de la stabilité; fonder un équilibre durable sur l’amplitude calculée d’oscillations incessantes; s’emparer hardiment du principe républicain pour en faire le principe conservateur par excellence, ce fut leur dessein. Le jour où ces hommes distingués, dont la jeunesse avait eu la monarchie parlementaire pour idéal, les Thiers, les Rémusat, les Casimir-Périer, les Duvergier de Hauranne, eurent compris que la démocratie en France n’était pas un accident ou un épisode, mais le terme naturel de l’histoire nationale, ils virent du même coup que la République était la forme naturelle de la démocratie.

Si naturelle, à vrai dire, et si nécessaire qu’en fait, en dépit des fictions et des apparences, la France vivait en République, depuis qu’elle vivait en démocratie, — c’est-à-dire depuis 1789. S’il est exact que la différence spécifique entre la République et la monarchie réside tout entière dans l’opposition du principe électif et du principe héréditaire, la France, depuis 1789, n’a pas été, non pas même une seule fois, en monarchie. Elle a été en République : elle y a été sans le savoir, sans le vouloir, sans un seul des avantages de ce régime et avec presque tous les désavantages de son contraire. Sauf Louis XVIII, pas un seul des souverains de cette longue période n’est mort sur le trône. Sauf Charles X, pas un de ces chefs d’État n’est arrivé au pouvoir par le jeu silencieux et automatique d’un mécanisme monté d’avance. Empereurs ou rois, tous, comme de simples présidens, ont dû recourir à l’élection directe ou indirecte, au choix ou à la ratification de leurs peuples. Aucun des élémens constitutifs de la monarchie — légitimité, hérédité, loyalisme, continuité — n’était présent.

Toutefois, et justement parce que l’on s’obstinait à garder le mot sans la chose, et à sauver les apparences aux dépens de la réalité, ce régime bâtard parut se plaire à donner une prime à la Révolution. Faute d’établir et de régler le mode de transmission du pouvoir sur la base élective, pour le médiocre plaisir de décorer la façade de l’étiquette monarchique et de maintenir la fiction de l’hérédité, on rendit inévitable le recours au procédé révolutionnaire. Voter la République, pour les conservateurs qui la fondèrent, ce fut donc tout simplement reconnaître le fait, y conformer le droit, et substituer au brutal expédient de la