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dans la circonstance actuelle, le baron de Marschall a montré une réserve plus circonspecte qu’à l’ordinaire. Il a déclaré qu’il ne pouvait pas donner une réponse définitive sans un examen attentif et prolongé. L’examen se prolonge encore. Le gouvernement allemand s’est contenté de dire, en attendant, qu’il était disposé à se joindre à toutes les démarches auxquelles les autres puissances pourraient se décider à l’unanimité en vue de maintenir l’intégrité de l’Empire ottoman et d’améliorer le sort, non seulement des Arméniens, mais de tous les sujets du sultan sans distinction de race ni de religion. C’est là une réponse qui, avouons-le, ne le compromet pas beaucoup.

La Russie et la France ont trop d’intérêts engagés dans les affaires d’Orient pour imiter l’exemple si philosophique de l’Allemagne. Leur réponse à la proposition anglaise devait avoir un caractère plus précis. Il leur était impossible de ne pas éprouver quelques appréhensions au sujet de ces mesures coercitives dont parlait lord Salisbury, mesures d’autant plus inquiétantes qu’elles étaient présentées d’une manière plus vague, et qu’en demandant aux autres gouvernemens de les prendre, celui de la Reine avait négligé de les définir. Si des mesures de ce genre ne sont pas exécutées avec opportunité, avec rapidité, avec une parfaite unanimité entre toutes les puissances, elles risquent de faire plus de mal que de bien, et de provoquer dans l’Empire ottoman les accidens les plus graves. Qui sait si les intérêts de l’humanité, ceux dont l’Europe s’est le plus préoccupée dans ces derniers temps, ne seraient pas les premiers compromis et lésés par une action intempestive et maladroite ? Bien que beaucoup de sang ait coulé déjà, il peut en couler plus encore, de sorte que le but principal que l’Europe poursuit en ce moment serait complètement manqué. Xous ne parlons pas du côté politique de la question : une intervention d’une certaine nature mettrait en cause l’existence même de l’Empire ottoman, dont tout le monde veut maintenir l’intégrité, mais qui, dans l’état où il est aujourd’hui, n’aurait certainement pas la force de résister à une secousse un peu brusque, et à un ébranlement qui se répercuterait jusqu’à ses dernières extrémités. Nous sommes convaincus que personne en Europe ne songe à ouvrir la succession de l’Homme malade, qui l’est plus que jamais, qui le sera probablement toujours ; toutefois il y a des puissances qui répugnent, plus peut-être que d’autres en ce moment, à une intervention qui pourrait les jeter toutes, bon gré mal gré, dans la voie des grandes aventures, et parmi ces dernières il faut mettre au premier rang la France et la Russie. Cette politique a toujours été celle de la France ; elle n’a pas