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tamment fait preuve de l’esprit le plus hardi, peut-être même le plus aventureux. On comprend dès lors que la proposition de lord Salisbury, ayant derrière lui le comte Goluchowski, ait paru devoir être étudiée avec soin avant d’être acceptée. La proposition avait deux parties étroitement liées dans la pensée du gouvernement anglais. Il s’agissait, conformément au précédent qui avait amené l’heureuse issue des affaires de Crète, de confier aux ambassadeurs à Constantinople le soin d’élaborer entre eux un projet de réformes. Sur ce point, le gouvernement français ne pouvait faire aucune objection ; n’est-ce pas lui qui avait, il y a quelques mois, imaginé le précédent qu’on voulait faire revivre et qui avait si bien réussi ? On était convaincu, à cette époque, que la sultan ne pourrait pas manquer de donner son adhésion à un projet qui lui serait présenté avec la haute autorité de l’Europe tout entière, et l’événement n’avait pas démenti ces espérances. Tel était le précédent crétois ; lord Salisbury s’en inspirait sans doute, mais non pas jusqu’au bout. Au lieu de prévoir que, cette fois encore, le sultan s’inclinerait devant les conseils unanimes de l’Europe, conseils derrière lesquels il sentirait une volonté réfléchie et résolue, il prévoyait tout le contraire, à savoir que le sultan ne se soumettrait pas, qu’il résisterait, et qu’il faudrait employer contre lui des mesures de rigueur. Le choix de ces mesures et l’entente qu’il convenait d’établir pour les appliquer prenaient en quelque sorte le premier pas dans les préoccupations britanniques, et plus encore peut-être dans les préoccupations austro-hongroises. Lord Salisbury était convaincu par avance que les ambassadeurs à Constantinople arriveraient toujours à se mettre d’accord sur un plan de réformes, et qu’il n’y avait pas lieu d’éprouver à cet égard la moindre inquiétude ; il suffisait, comme on l’avait fait une première fois, de laisser beaucoup de liberté aux ambassadeurs et de ne pas les enfermer dans des instructions trop étroites. Pour ce qui est, au contraire, de l’adhésion du sultan, de son adhésion sincère et effective, elle était à ses yeux beaucoup plus douteuse, et le plus sûr était même de la regarder comme peu probable. Dès lors, la nécessité de mesures de coercition devenait évidente, et il fallait s’en préoccuper tout de suite.

Telle a été l’initiative que lord Salisbury a prise le 20 octobre dernier, initiative qui était restée jusqu’à ce jour ignorée du grand public. Le secret en avait été parfaitement gardé par tout le monde, et lord Sabsbury lui-même, dans son discours au banquet du lord maire, prononcé le 9 novembre, n’y avait fait aucune allusion. Il s’était borné à parler avec approbation du discours que M. Hanotaux avait prononcé