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seul intact dans les caves de la Banque, le dépôt qui lui appartenait), vint au secours de sa sœur Gunhild et de son neveu le petit Erhart. Elle racheta pour eux la maison Borkman et leur assura de quoi vivre. Puis elle prit Erhart auprès d’elle et se chargea de son éducation. Mais, quand Erhart eut quinze ans, Gunhild, jalouse de l’influence de sa sœur, exigea qu’elle lui rendît l’enfant.

Et cependant Borkman, sa prison finie, est rentré dans la grande maison solitaire. Il habite une chambre du haut, où il passe ses journées à marcher en rêvant, comme un loup en cage. Il ne voit presque jamais son fils, qui étudie à la ville voisine. Voilà huit ans que Borkman n’a mis le nez dehors. Voilà huit ans qu’il n’a vu sa femme, bien qu’ils habitent tous deux sous le même toit. Et voilà huit ans que les deux sœurs ne se sont vues.

Tels sont, exactement résumés, les événemens antérieurs au lever du rideau, et que nous apprenons peu à peu au cours des longues conversations qui remplissent les deux premiers actes. Ces événemens ne laissent pas d’être un peu compliqués, mais ils sont parfaitement clairs.

Entrons maintenant dans l’action. Ella, vieille, très malade, et qui aime tendrement Erhart, sans doute parce qu’elle a adoré son père, vient supplier Gunhild de lui rendre ce garçon, pour qu’il lui ferme les yeux. Gunhild refuse avec une dure énergie. Elle prétend garder son fils pour ce qu’elle appelle le « relèvement ». Elle n’entend point par là, semble-t-il, la réhabilitation de son mari, ni la restitution de l’argent volé (elle parle même avec un singulier détachement des ruines faites par Borkman). Ce qu’elle rêve, c’est simplement la revanche du passé par la conquête d’une nouvelle fortune. Et c’est aussi en haine de sa sœur qu’elle se cramponne à son fils. Et elle croit le tenir; car, pour le détacher d’Ella, elle a tout employé, même le mensonge et la calomnie, et elle s’en vante. «... Je lui ai demandé comment il s’expliquait que tante Ella ne vint jamais nous voir... Je lui ai fait croire que tu as honte de nous, que tu nous méprises. » Et elle conclut : « C’est moi maintenant qui suis nécessaire à Erhart, ce n’est pas toi. Il est mort pour toi, et toi pour lui. — Nous verrons bien », dit Ella.

Et tout cela encore est d’une clarté irréprochable.

Tandis que les deux sœurs s’affrontent, voici entrer Erhart et Mme Wilton. une femme de trente ans, belle, divorcée, chez qui le garçon fréquente depuis quelque temps. Tous deux doivent, à ce qu’ils disent, passer la soirée précisément chez cet Hinkel, qui a jadis dénoncé le père d’Erhart ; mais quoi ? c’est une maison où l’on s’amuse. Toutefois