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couvent de Saint-Marc, n’éprouve le frisson d’une présence divine. Toute la vie du Christ y ressuscite aux yeux, avec une vérité si simple et si forte qu’on ne peut plus ensuite l’imaginer autrement. Qui ne se rappelle cette Annonciation où l’ange, les bras croisés, adore dévotement l’élue du Très-Haut ? Son mouvement, sa figure, les grands plis flottans de sa robe violette, tout en lui est à la fois vivant et céleste : si vraiment un ange est apparu à Marie, c’est sous cette forme-là qu’il lui est apparu. Qui ne se rappelle, dans la Nativité, le regard de la mère contemplant son fils ? Quatre anges chantent sur le toit de l’étable, proclamant au monde le mystère glorieux : mais à défaut même de leur vue, cette mère et cet enfant suffiraient à donner l’impression du surnaturel. Et qui ne se rappelle, au-dessus de la porte de l’hôtellerie, ce Christ en robe blanche, tenant dans sa main le bourdon du pèlerin, et souriant tendrement aux deux moines qui l’accueillent? Du fond de sa cellule, étranger au reste des choses et ne cherchant que le Christ, l’humble Fra Angelico l’a retrouvé dans son cœur.

Et nous aussi, c’est dans notre cœur que nous devons le chercher. En vain Renan et ces confrères ont cru l’en faire sortir; il y est toujours, attendant, pour nous apparaître, que nous redevenions plus digne de le voir. Mais nous sommes pareils à l’un de ces deux vieillards d’un conte de Tolstoï, qui s’étaient un jour mis en route pour visiter les lieux saints. L’un des deux, le plus riche, le plus intelligent, et le plus dévot, avait traversé le monde jusqu’au tombeau du Seigneur. L’autre, une façon de niais quelque peu ivrogne, aurait bien voulu, lui aussi, baiser l’empreinte miraculeuse des pieds de Jésus; mais il avait rencontré en chemin une vieille femme si malade et de pauvres enfans si dénués de tout, qu’il n’avait pu s’empêcher de s’arrêter auprès d’eux. Et Tolstoï raconte qu’à Jérusalem le premier de ces deux vieillards, tandis qu’en vain il tentait d’approcher du tombeau divin, eut la surprise de voir, au premier rang devant lui, souriant et le visage illuminé d’une béatitude céleste, le « simple d’esprit » qu’il avait laissé à mi-route. Celui-là seul était vraiment parvenu à Jérusalem Dans la pureté de son cœur, il avait « vu Dieu ».


T. DE WYZEWA.