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évoquer. Je n’entrerai pas dans le détail des illuminations en quelque sorte divinatrices qui m’ont été suggérées par la vue de certains détails topographiques en apparence insignifians ; je craindrais de me faire accuser de mysticisme. Le souvenir des œuvres des maîtres ne m’obsédait nullement, car mon but était tout autre que le leur. Ce que je cherchais, je le répète, c’était à être émotionné directement par la vie de Notre-Seigneur, en passant dans les mêmes lieux, en contemplant les mêmes paysages, en cherchant les traces de la même civilisation. »

On le voit, c’est bien pour y trouver le Christ que M. Tissot est allé en Palestine. Il a voulu donner à sa foi la base matérielle et concrète dont il sentait qu’elle avait besoin. Le « délicieux jeune homme » que nous avait ramené Renan ne lui suffisait point, non plus que le pur esprit de Tolstoï et des néo-chrétiens. Il lui fallait un Christ qu’il pût à la fois toucher et adorer, qui fût à la fois le Fils de l’Homme et le Fils de Dieu. Et comme nous étions en cela semblables à lui, non content d’avoir retrouvé ce Christ il s’est proposé de nous le ramener. C’est pour nous faire partager son pieux enthousiasme, et pour nous admettre, nous aussi, à la bienheureuse vision, qu’il a peint cette admirable série de quatre cents tableaux, traduisant ou pour mieux dire ressuscitant scène par scène le grand drame divin de la vie de Jésus.

La série fut exposée, en 1894, au Salon du Champ-de-Mars. Ce n’est pas assez de dire qu’elle y fut admirée : trois mois durant la foule se pressa devant elle, avec un mélange de surprise et de respect que l’effort artistique du peintre, d’ailleurs, aurait déjà à lui seul amplement justifié. « Depuis Decamps et Bida, écrivait ici même M. Lafenestre. bien des peintres ont reconnu, de temps à autre, dans les Syriens d’aujourd’hui, les patriarches et les prophètes d’autrefois. Quelques bons tableaux ou illustrations, d’une observation curieuse, le plus souvent épisodiques, parfois un peu factices et froids, sont sortis de cette école. Mais aucun artiste n’avait entrepris, avec une longue résolution, de pousser l’idée à fond et d’évoquer sur place, d’un bout à l’autre, depuis l’Annonciation jusqu’à la Pentecôte, la légende évangélique, en oubliant toutes les traditions antérieures, afin de lui rendre, par l’exactitude des lieux et des acteurs, une vraisemblance plus saisissante et plus immédiate. Depuis les pieux et hardis naturalistes