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difficile à expliquer que la guérison d’un aveugle ou d’un possédé. Et à toutes les pages, dans l’œuvre de Renan, on en trouverait de pareils, dont personne n’a pensé à se scandaliser. Le miracle, du reste, ne scandalise personne. Nous sentons trop que de toutes parts il nous entoure, que nous marchons et vivons dans le surnaturel. Qui donc oserait soutenir sincèrement que, dans sa vie privée et pour son propre usage, il croit à un enchaînement invariable des effets et des causes?

Ce ne sont point les miracles de Jésus qui nous ont décidés à ne plus croire en lui. Nous avons cessé de croire en lui parce que cette foi nous semblait trop naïve, parce que nous en étions las et qu’elle nous gênait. Et à peine en fûmes-nous délivrés, qu’il nous sembla que notre cœur avait refleuri. Nous allions par le monde, en quête d’un culte nouveau; et pas une ombre ne se montrait à notre horizon, sans que nous lui prêtions des grâces divines. Ainsi nous avons d’abord adoré la science. C’était elle que Renan nous recommandait, en échange du Dieu qu’il nous avait pris. Après avoir déploré que les « belles erreurs » de Jésus l’eussent « mis en défaut aux yeux du chimiste et du physicien », il opposait à ce qu’il y avait dans le christianisme d’« impur » et de « puéril », la sainteté supérieure de l’idéal scientifique. « La science seule est pure, disait-il. Celui qui a trouvé un théorème ne monte pas en chaire, il ne gesticule pas, il n’a point recours à des artifices oratoires pour faire adopter sa démonstration. Certes, l’enthousiasme a sa bonne foi : mais ce n’est pas la bonne foi profonde, réfléchie du savant. Seule la science cherche la vérité pure, seule elle donne les bonnes raisons de la vérité. » Aussi l’avons-nous bien aimée, ou plutôt nous sommes-nous bien consciencieusement efforcés de l’aimer. Et quand nous avons reconnu que, loin de nous offrir l’appui moral où le christianisme nous avait habitués, il n’y avait pas jusqu’à la vérité, jusqu’à la moindre parcelle de vérité un peu solide qu’elle ne nous refusât, à combien d’autres ombres, tour à tour, n’avons-nous pas essayé de nous attacher! Mais ce n’étaient que des ombres; et à mesure que nous approchions d’elles nous les voyions s’effacer. Nous nous retrouvions seuls, comme le prince du conte, et, pas plus que lui, nous ne pouvions nous résigner à la solitude. Pour l’action et pour le rêve, pour la vie et pour la mort, nous avions besoin d’une foi.