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au régime politique qui lui fournit ses conditions d’existence et de développement. C’est ce régime qu’il faudrait avant tout réformer, et tant que les représentans de la nation achèteront des voix pour se faire élire, on devra s’attendre à les voir vendre des lois pour couvrir leurs frais : ce n’est qu’en légitimant le pouvoir qu’on l’épurera. D’ailleurs, il est de fait que les points de contact entre l’autorité publique et les grandes associations de producteurs devront tendre à se restreindre peu à peu dans l’avenir : verrons-nous en conséquence se tarir un jour les sources de la corruption politique aux Etats-Unis?


V

Par la gravité des problèmes soulevés, des droits atteints et des résultats produits, les phénomènes dont nous avons tenté de dégager ici le caractère et de fixer l’image, offrent une importance qui dépasse singulièrement leur portée locale, temporaire et spéciale. L’industrie moderne traverse une période critique. Entre l’individu et l’Etat, un troisième pouvoir est né, l’association, qui, donnant à l’activité humaine un nouvel essor et une puissance supérieure, groupe les individus isolés, avec les moyens matériels et moraux dont ils disposent, en des corps vivans d’intérêts solidaires et convergens, en des organismes plus forts, capables de jouer un jour sur le théâtre économique un rôle décisif. Ce facteur nouveau du mécanisme social travaille-t-il à anéantir l’individu ou à le ressusciter, à faire la grandeur ou la ruine de l’Etat? C’est ce que l’avenir nous réserve de voir. Constatons seulement que, sous des formes diverses, trusts ou pools, Cartelle, ententes variées et syndicats multiples, partout se retrouve aujourd’hui une même tendance, plus ou moins prononcée, plus ou moins avancée, de l’industrie moderne vers un certain degré de monopole, et partout se voient les traces d’un mouvement de centralisation économique parallèle à celui de la centralisation politique. Les faits viennent porter une grave atteinte à l’ancienne théorie orthodoxe de l’économie politique, et battre en brèche la doctrine préférée de l’école de Manchester : la concurrence ne se suffit plus à elle-même, elle fait place à l’association. Cette évolution est-elle légitime? et quel présage peut-on en tirer pour l’avenir de nos sociétés? Voilà la question à laquelle nous voudrions essayer de répondre en terminant.