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et tournent bride au galop. Ou, tout à coup, une barrière, un mur de flammes environne le bivouac, à une centaine de mètres de distance. La prairie brûle ! comme dans les romans de Cooper. Une rage muette, un énervement s’empare du soldat, de savoir qu’à toute minute un danger l’entoure et de ne pas le voir. Être partout et n’être nulle part, gênans, tracassans et insaisissables, c’est la tactique des révolutionnaires qui tirent admirablement parti de leurs auxiliaires naturels, la fièvre, la forêt, la faim, l’anémie ; et, si ce sont de grands généraux à leur service que ces invisibles tueurs d’Européens, leurs généraux de chair et d’os, un Maceo, un Calixto Garcia, un Mâximo Gómez ne sont pourtant pas à négliger.

Maceo ne compte plus. Tué, blessé ou disparu, il est mort pour l’insurrection, le mulâtre obstiné que tant de fois faussement on a dit mort, qu’il semblait ne pas pouvoir mourir. Il connaissait son île en ses plis et replis : l’orient, pour y avoir, plus jeune, conduit ses mules ; le centre et l’occident, pour y avoir couru de nombreuses chevauchées. Ignorant et d’esprit borné, n’ayant qu’une seule idée, mais l’ayant bien, par cela même qu’il n’en avait qu’une ; tenant de sa race le crâne opaque et dur ; non dédaigneux de l’argent, à l’occasion, mais capable aussi, à l’occasion, d’un certain genre de désintéressement ; ambitieux, vaniteux, avide de briller ou de reluire, amoureux de gloire et de galon[1], hanté par des ombres illustres de libérateurs-dictateurs blancs et noirs ; opiniâtre, résistant, accoutumé à la misère, retournant sans regret, comme par atavisme, à la vie vagabonde, dépouillant, sans souffrance, des besoins acquis depuis peu ; médiocre général, assurément, et stratégiste d’impulsion ou d’instinct, mais chef craint ou aimé, obéi ; mulâtre en qui mulâtres et nègres se miraient, s’admiraient, se vengeaient de dédains mal dissimulés chez les autres chefs, il pouvait être pour l’Espagne un adversaire irréductible.

Plus instruit, plus ouvert d’esprit que Maceo, d’une nature et de manières plus fines, fécond en ruses, vrai condottiere des pays équatoriaux, Mâximo Gdmez est pour le général Weyler, Maceo même annihilé, un partenaire non indigne. C’est Máximo Gómez qui a inventé, qui a importé de Saint-Domingue, où il en fit l’apprentissage, cette guerre sans batailles, cette guerre en lacet, en

  1. Eug.-Ant. Flores, la Guetra de Cuba, p. 393-394, 415 et suiv., 464. — Cf. Reparaz, p. 75.