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Martinez Campos n’était pas l’homme des circonstances nouvelles.

Il s’embarquait, féru de l’excellence d’un système qui lui avait bien réussi en 1878, résolu à y recourir, convaincu que la bienveillance viendrait à bout de tout, qu’il suffirait de négocier, d’attirer, d’apprivoiser, disposé à s’y employer coûte que coûte, incliné aux concessions, persuadé, enfin, lui brave entre les braves, que la meilleure manière de faire la guerre était de ne pas la faire. Mais, s’il faut être deux pour se battre, il faut encore, quand on est deux, être deux pour ne pas se battre. En 1878, lorsque le système du maréchal lui avait si bien réussi, la guerre durait depuis dix ans : les insurgés en étaient las. En 1895, la guerre commençait ; les insurgés étaient tout frais, dans la plénitude d’une force et d’une ardeur renouvelées par dix-sept ans de préparation. Aux proclamations d’amnistie et aux appels à la concorde, la révolution ne répondait que par des mouvemens offensifs : elle débordait, elle se répandait sur toute l’île, la traversait dans toute sa longueur, croisait ses marches, entourait le maréchal, le pressait, le serrait de jour en jour. Lui, néanmoins, avec sa rectitude militaire, il suivait sa ligne : il assemblait au palais, pour les consulter, les juntes directrices des partis, et il échouait à les mettre d’accord entre eux, comme à les mettre d’accord avec lui-même. L’Espagne ne comprenait pas. Tiré de là-bas, poussé d’ici, ne reconnaissant plus Cuba, Martinez Campos ne put se décider qu’à donner sa démission, à se faire rappeler dans son pays, qui ne le reconnaissait plus.

On envoya, pour réparer le temps perdu, à la place de ce négociateur, de ce pacificateur quand même, le général, de tous les généraux espagnols réputé le moins pacificateur et le moins négociateur, le général Weyler, marquis de Ténérife. Celui-là ne publierait pas de décrets d’amnistie et ne ferait pas la guerre avec des grâces : on contait de lui, dans ses campagnes de Catalogne, des traits d’une énergie farouche, allant jusqu’à la cruauté ; quelques-uns vraiment terribles et qui font passer le frisson que l’on ressent à lire, dans le récit glacé d’un Machiavel, les exploits d’un César Borgia. Je ne jurerais pas que ce n’est pas au général Weyler que pense M. Canovas del Castillo, quand il dit qu’on ne fait pas la politique avec des anges. — Et après tout, dans le paradis même, un des anges brandit une épée flamboyante. — L’épée du général Weyler flamboyait devant lui : sa renommée