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au lieu de les livrer ; et comme elles se composaient de gens, pour la plupart, sans foyer ni attaches au sol, elles habitaient en quelque sorte par compagnies ou par colonies militaires, en attendant le signal de reprendre la campagne. Cette reprise des hostilités, les juntes révolutionnaires cubaines du dedans et du dehors n’ont pas cessé de la préparer, et les mêmes soldats, au bout de dix-sept ans, se sont retrouvés sous les mêmes chefs, comme s’il ne se fût rien passé dans l’intervalle.

Lorsque, vaincu dans la « grande guerre », Mâximo Gómez s’était embarqué pour Saint-Domingue, son île natale (car ce libérateur n’est pas un Cubain), ou pour la Jamaïque, il s’en allait, lassé et dégoûté : « Si, dans la maison où je vais demeurer, disait-il, il y a une cour et un arbre, j’arracherai l’arbre, tant je suis excédé de la brousse et de ses hôtes, de la manigua et des manigueros[1] ! » Mais, serment d’ivrogne : et qui s’est battu se battra, puisque aussi bien le condottiere vit de la guerre et le révolutionnaire de la révolution. Un autre cabecilla des plus en vue, Calixto Garcia Iñiguez, avait bien accepté un emploi à la Banque hypothécaire, il était devenu quelque chose comme chef de bureau au Crédit foncier, mais il n’avait pas abjuré une syllabe de sa proclamation de 1880, avant la Guerra chiquita : « À la bataille, soldats ! L’indifférence est une lâcheté : la gloire est dans une belle mort. Pour nous, il n’y a ni repos, ni nuit, ni fatigue… À la bataille, soldats ! » De même Antonio Maceo, plantant du café, dans Costarica, se sentait toujours en communion avec les grands esprits de Guacinton, de Laffayet et de Bolibar, comme il disait en son patois nègre, et ces apôtres armés des deux Amériques, Washington, Lafayette et Bolivar, il les entretenait de son idéal, pris un peu bas, mais pieusement gardé : faire de Cuba une république sœur… de celle des États-Unis ? Non : mais de celle d’Ayti (Haïti) et de Saint-Domingue.

Ainsi les insurgés d’hier s’aidaient, et d’autres que le ciel, à New-York et dans les Antilles, les aidaient. Les autorités espagnoles à Cuba même ne les contrariaient pas, ne les contenaient pas beaucoup. Les gouverneurs généraux se suivaient et, à une ou deux exceptions près, se ressemblaient singulièrement en belle vaillance, en belle confiance et en belle insouciance andalouses… Les feux de la « grande guerre » n’étaient pas éteints, que

  1. Eug. Ant. Flores, la Guerra de Cuba, p. 432.