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déjà turbulente. « On lui donna le nom de mousquetaire pendant quelque temps pour la forme, rapporte Mme Desnoyers, et il en fit même quelque temps les fonctions. Le Roi lui avait donné le choix des deux compagnies. Il avait voulu entrer dans celle des noirs, parce qu’il y avait quelques princes avec lesquels il était bien aise d’apprendre à faire l’exercice; mais quelque temps après il eut l’occasion de se repentir de son choix, car son tour étant venu d’aller demander l’ordre au Roi avec un mousquetaire gris, M. de Monpertuis ordonna à celui-ci de prendre la droite sur le duc de Bourgogne, et de ne pas lui céder le pas, parce que la compagnie des mousquetaires gris que M. de Monpertuis commande, a le pas devant celle des noirs. M. le duc de Bourgogne fut un peu mortifié de ce petit déboire. Le Roi l’en railla et lui demanda s’il ne voulait pas changer de compagnie. Le prince, après y avoir un peu pensé, s’avisa d’un expédient pour concilier les choses et dit au Roi qu’il voulait être mousquetaire gris et noir à l’avenir, et que. pour cela, il priait Sa Majesté de lui faire donner un cheval pie[1]. »

Le duc de Bourgogne apporta dans ses fonctions de mousquetaire gris ou noir toute l’ardeur qui était déjà dans sa nature. Il s’appliqua avec passion à apprendre l’exercice. Le 3 juin 1689, le Roi passa en revue les deux compagnies dans la haute cour du château de Versailles. Il faisait une fort grande pluie. Le duc de Bourgogne tint néanmoins à y prendre part. Il figura à droite du premier rang, et fit l’exercice comme les autres, « avec une application, une justesse et une dextérité infiniment au-dessus de ce que peuvent faire ordinairement les enfans de son âge, étant inouï qu’un enfant qui n’avait pas encore sept ans accomplis témoignât autant d’adresse et de sang-froid que des gens de vingt-cinq ans. » Ainsi s’exprime Sourches dans ses Mémoires, et il ajoute : « On ne saurait croire la joie que tout le monde eut de voir ce petit prince commencer à donner de si grandes marques de l’inclination qu’il devoit avoir un jour pour la guerre, et le Roi même en parut fort touché[2]. » Plusieurs estampes représentent en effet le duc de Bourgogne, avec une pique ou un mousquet à la main, et portant par-dessus ses

  1. Lettres galantes, t. I, p. 489. La différence entre la compagnie des mousquetaires gris et celle des mousquetaires noirs, qui portaient le même uniforme, était marquée par la robe des chevaux.
  2. Mémoires de Sourches, t. III, p. 100.