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qu’éveillée. — Madame, répliqua la Dauphine en ouvrant les yeux, si j’étais fille de l’amour, je serais aussi belle que vous. » Un autre jour, le Roi lui ayant dit : « Je ne savais pas, Madame, que vous aviez une sœur qui était très belle (il voulait parler de la grandeduchesse de Toscane). — Sire, répondit-elle, j’ai une sœur qui a pris toute la beauté de la famille, mais j’en ai eu tout le bonheur. »

Ce bonheur avait été de courte durée. L’affection obstinée qu’elle avait conservée pour son frère, le duc de Bavière, bien que celui-ci fût entré dans la ligue d’Augsbourg, acheva de lui faire du tort. Elle passa les dernières années de sa vie dans l’isolement et dans une demi-disgrâce. Cependant elle eut encore un beau jour ; ce fut celui où les trois fils qu’elle avait donnés à Monseigneur : le duc de Bourgogne, le duc d’Anjou et le duc de Berry furent solennellement baptisés. La cérémonie eut lieu dans la chapelle du palais de Versailles le 18 janvier 1687. Monseigneur de Coislin, évêque d’Orléans, premier aumônier du Roi, « suppléa aux cérémonies » (ce sont les termes employés par la liturgie lorsque le baptême a été précédé de l’ondoiement), revêtu de ses habits pontificaux et ayant la mitre en tête, ce qui n’était pas l’usage pour un baptême. Le Roi voulut être lui-même parrain du duc de Bourgogne. Madame fut marraine. « Jamais, disent les Mémoires de Sourches, la Cour ne fut si grosse que ce jour-là. » Le soir, il y eut un très grand bal où les hommes et les femmes apparurent magnifiquement parés. La Dauphine était encore souffrante d’une fausse couche qu’elle avait faite. Néanmoins elle prit part aux danses, revêtue d’une robe si pesante qu’elle pouvait à peine la porter. « C’était, ajoute Sourches, un jour d’une trop grande gloire pour elle, pour ne pas faire quelque chose d’extraordinaire[1]. » C’était un jour de grande gloire en effet. Elle avait donné au fils de roi qu’elle avait épousé trois fils, dont l’un devait être roi à son tour, et fonder, en Espagne il est vrai, une dynastie qui dure encore. Sa fonction était remplie ; elle pouvait disparaître.

Elle disparut en effet à trois ans de là, mais non pas sans dignité et sans courage. Durant ces trois dernières années de sa vie, on la vit peu à la Cour. Depuis la naissance du duc de Berry, son dernier enfant, elle ne s’était jamais complètement rétablie, et elle accusait Clément d’avoir été dans cette circonstance moins habile qu’à son ordinaire. La vérité, c’est qu’elle était

  1. Mémoires de Sourches, t. II, p. 112.