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rapport officiel, est plus sévèrement traité, proportionnellement, que l’assassinat ; et en outre, il l’est avec une sévérité croissante, comme ce dernier l’est avec une indulgence croissante. » La cause notoire en est dans les décisions des jurés, et ces décisions, à leur tour, s’expliquent par les sophismes que la presse a répandus sur les crimes « passionnels » — comme si tout crime n’était pas l’effet d’une passion, — sur l’irresponsabilité des volontés déchaînées par quelque penchant inné ou acquis, etc. En outre, les « bourgeois » des jurys ont conservé un culte de la propriété (quelque peu intéressé d’ailleurs) qui explique leur sévérité persistante, tandis que leurs idées morales commencent à subir une vraie déroute. On cite ce propos d’un juré : « Pourquoi veut-on que nous condamnions cet homme ? Il ne nous a rien fait, à nous ! » La France descendra-t-elle au rang des pays de demi-barbarie où le jeu des couteaux est quotidien, où la vengeance est un point d’honneur, où la violence cherche une excuse dans la prétendue ardeur héréditaire du « sang » ?

Outre la suggestion indirecte, la presse exerce encore une suggestion directe sur les esprits mal équilibrés. Maudsley a dit : « Grâce aux récits des journaux, l’exemple du crime devient contagieux : l’idée s’empare de l’esprit faible comme une sorte de fatum contre lequel toute lutte est impossible. » Un très grand nombre de criminels ont déclaré qu’ils devaient aux romans et aux journaux, avec l’idée de leur crime, les procédés mêmes de l’exécution. L’assassin Morisset, dans son autobiographie, s’élève aux plus étranges théories sur le crime et la presse : « Les conséquences du crime, dit-il, sont avantageuses à la société. Il y a, en effet, une certaine partie de la population, et c’est la plus nombreuse, qui n’achète les journaux que pour lire les faits divers. Que l’on supprime le crime, il n’y a plus d’acheteurs, conséquemment plus d’employés pour travailler le chiffon, etc. » Ces services rendus par le crime à la presse ont pour digne pendant les services rendus par la presse au crime. Les images coloriées représentant les assassinats, avec la victime baignée dans le sang, engendrent aussi, bien souvent, une sorte de vertige homicide, dont M. Aubry donne des exemples dans son livre sur la Contagion du meurtre[1]. On se rappelle les réflexions de ce journaliste qui déclarait n’avoir plus besoin de lire les faits divers, puisqu’il

  1. Paris, Alcan, 1894.