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s’oppose aux religions antiques, de prévenir la mauvaise détermination de la volonté en la combattant dans son premier germe, le « désir » et même l’« idée » ; d’où l’expression : « pécher en pensée », expression qui, dit M. Garofalo, ne peut faire sourire qu’une psychologie superficielle.

Un fait important, qui a frappé tous les statisticiens, c’est que la criminalité de la femme, qui varie entre le dixième et le tiers de celle des hommes, voit celle-ci redescendre à son propre niveau dans les départemens bretons, où l’homme est presque aussi religieux que la femme et où la criminalité masculine est très faible. En revanche la criminalité féminine s’élève au même niveau que l’autre dans les villes, dans les régions très civilisées, où précisément la femme devient presque aussi irréligieuse que l’homme. Il faut bien convenir que la foi à une morale impérative, qui ne se discute pas, étant établie et sanctionnée par le principe même de l’univers, est une digue puissante contre les passions criminelles ou vicieuses, contre l’intérêt tyrannique du moment actuel ; elle est, sous une forme plus ou moins symbolique, l’introduction dans le moi égoïste d’un je ne sais quoi d’universel et d’éternel. Et c’est là, en dépit des mythes, ce qui donne à toutes les religions leur « âme de vérité », si c’est l’essence de la vérité même d’être universellement et éternellement valable, si c’est aussi l’essence de la vie individuelle que d’être, par un lien mystérieux, mais certain, rattachée au tout, liée dans son présent fugitif au passé et à l’avenir du monde. L’humble croyant qui mêle même des fables à son sentiment de la vie universelle, c’est-à-dire, au fond, de la société universelle, est moins éloigné du vrai, et surtout du bien, que le matérialiste orgueilleux et égoïste qui ne croit qu’à l’heure présente. Soyons donc, nous philosophes, nous apôtres de la tolérance, tolérans pour les religions. Celui même qui a essayé de décrire ce qu’il appelait l’ « irréligion de l’avenir » n’a-t-il pas dit : « Quand vous vous indignez contre quelque vieux préjugé absurde, songez qu’il est le compagnon de route de l’humanité depuis dix mille ans peut-être, qu’on s’est appuyé sur lui dans les mauvais chemins, qu’il a été l’occasion de bien des joies, qu’il a vécu pour ainsi dire de la vie humaine ; n’y a-t-il pas pour nous quelque chose de fraternel dans toute pensée de l’homme[1] ? »

  1. Guyau, L’Irréligion dans l’avenir, introduction.