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par l’abus des spiritueux ; le vingtième des morts accidentelles avait été déterminé par les mêmes causes. Quant aux effets produits par l’hérédité sur les enfans d’alcooliques, ils sont assez notoires[1]. Les criminalistes reconnaissent aussi le libertinage comme la source principale des crimes et délits dans les nations civilisées. Le voleur, l’escroc, le faussaire sont de plus en plus des « viveurs aux abois ». L’accroissement des infanticides, celui des viols et celui des adultères ont une signification précise. Ajoutez donc à l’alcoolisme la débauche, et vous aurez les deux grandes sources de la criminalité croissante. Dès lors, est-ce l’école qu’il faut rendre directement responsable, ou le gouvernement qui tolère les deux plus dangereux des vices ? En son excellent livre sur le Crime et l’École, M. Bonzon, avocat à la cour d’appel, montre que la corruption des enfans se rattache avant tout à celle des parens : affaiblissement de la famille, démoralisation croissante de la masse, commencée bien avant 1880, augmentation rapide des naissances illégitimes, qui, dans Paris, égaleront bientôt les légitimes ; diminution du nombre des mariages et abus des divorces, surtout chez les ouvriers ; les enfans jetés sans soutien à l’assistance publique, dans les orphelinats, ou traînés par quelque fille honteuse de leur naissance, voilà les causes immédiates de la criminalité enfantine. Celle-ci est avant tout la projection agrandie de la démoralisation paternelle et maternelle.

Selon M. Morrison, éminent criminologiste qui a passé sa vie dans ces prisons comme aumônier, le jeune criminel est, dans le plus grand nombre de cas, un dégénéré au point de vue physique (stature, poids, développement des membres, force musculaire, état maladif, etc.). Dans la plupart des cas, il est ou totalement ou à moitié orphelin, et ce fait même prouve qu’il a hérité de ses parens, morts avant l’âge, une faiblesse congénitale. Enfin, lui-même a une mortalité très supérieure à la moyenne. Il est difficile que, chez lui, le physique ne retentisse pas sur le moral. Chez une bonne moitié des jeunes délinquans, le « pouvoir mental » est très inférieur. La précocité de leur adresse ou de leur malignité dans la vie des rues peut faire illusion, mais elle provient de ce qu’ils ont été abandonnés de bonne heure à eux-mêmes et que, d’ailleurs, ils ont des instincts semblables à ceux de l’animal ou du sauvage. Souvent l’oblitération du sens moral est

  1. M. Tarde.