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jeter lui-même : il préféra attendre qu’on l’y jetai. Il déclare qu’il ne peut plus se confier à la garde des soldats français et se rendre à Rome. Il recule jusqu’à Portici, et de là il répond au Président par son Motu proprio du 12 septembre. On y retrouvait à peu de chose près le mémorandum des puissances de 1831 : des libertés communales et provinciales, la réforme des lois civiles, des institutions judiciaires et des règles de la justice criminelle, de plus un conseil des ministres, un conseil d’Etat, une consulte des finances, une amnistie avec de nombreuses exclusions.

Le Président fut mécontent du Motu proprio. Ses ministres, moins exigeans, jugèrent qu’il réalisait en grande partie les vœux émis par la France, et qu’il n’y avait plus qu’à presser le Pape de compléter l’amnistie et de hâter la réalisation des réformes annoncées. Une demande de crédits fournit à l’Assemblée l’occasion d’exprimer son avis sur la politique du ministère, sur la lettre à Edgar Ney, sur le Motu proprio. Thiers, nommé rapporteur, se déclara satisfait : les lois annoncées opéreraient un bien incontestable si elles étaient réalisées ; et la parole de Pie IX suffisait pour lever tous les doutes à cet égard. Il reconnaissait cependant que, sans attenter à l’indépendance et à la dignité du Pape, on pouvait le presser de réaliser son Motu proprio, et d’étendre sa clémence. C’était l’approbation de la politique ministérielle, et cela rendait d’autant plus significatif le silence voulu gardé sur la lettre à Edgar Ney. Le Président comprit l’intention. Pour la première fois, ses ministres le virent « animé de quelque chose qui ressemblât à de la passion. » Il ne se résigna pas à rester silencieux sous le dédain de Thiers. Il écrivit à Odilon Barrot une nouvelle lettre, en le priant d’en donner lecture à la tribune : « Vous n’avez pas oublié, monsieur le ministre, avec quelle persévérance j’ai secondé l’expédition romaine, alors qu’un premier échec sous les murs de Rome et une opposition formidable à l’intérieur menaçaient de compromettre notre honneur militaire : je mettrai la même constance à soutenir contre des résistances d’une autre nature ce que je considère comme l’honneur politique de l’expédition. »

Cette lecture eût provoqué la vive adhésion de la gauche républicaine. Cavaignac l’avait laissé pressentir[1], Tocqueville et

  1. « Je déclare qu’après avoir pris connaissance de la lettre de M. le président de la République, j’ai trouvé les sentimens qui y sont exprimés parfaitement dignes, parfaitement patriotiques ; dignes, non pas seulement du grand nom que porte son auteur, d’autres que moi se sont chargés de le lui dire, mais dignes de la nation qui l’a choisi pour son premier magistrat. Ainsi donc, je rends hommage, hommage sans réserve, hommage respectueux aux sentimens exprimés dans la lettre de M. le président… Et si, par malheur, les décisions de l’Assemblée ne lui étaient pas conformes, et s’il en résultait quelque atteinte morale portée à l’autorité du pouvoir exécutif, assurément dans ma pensée, ce n’est pas à lui que j’en rapporterais la faute. (A gauche, très bien, très bien ! ) »